Rappel sur le cadre légal de la rupture du contrat de soins
L'article R4127-232 du CSP prévoit que, hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un chirurgien-dentiste a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles à condition de ne jamais nuire à son patient et de s’assurer de la continuité des soins.
Il doit dans ce cas fournir tous les renseignements utiles au confrère en charge du patient.
Le refus de soins ne doit jamais être discriminatoire et ne peut donc avoir pour cause l’origine, le sexe, la situation de famille, l'état de santé, l’orientation sexuelle ou encore l'âge du patient.
Cas n° 1 : un patient qui n'honore pas ses rendez-vous
Un patient, chef d’entreprise, consulte un chirurgien-dentiste pour l’extraction de trois dents et la pose d’implants. Très pris par son activité professionnelle, il décommande plusieurs rendez-vous moins de 24 heures avant, ou ne s’y présente pas, sans prévenir le praticien.
Au total, pas moins de sept rendez-vous ne sont pas honorés.
Le praticien lui adresse une lettre recommandée par laquelle il lui signale être dans l’impossibilité de continuer les soins dans ces conditions, au motif que :
- la confiance praticien/patient est rompue,
- la bonne qualité des soins est compromise,
- ces rendez-vous non honorés désorganisent le cabinet et lèsent les autres patients.
Il indique au patient qu’il tient son dossier dentaire à sa disposition et lui communique les coordonnées d’autres cabinets de chirurgie dentaire situés dans un périmètre proche de son propre cabinet.
Sans qu’on puisse, à coup sûr, préjuger de la décision du Conseil de l’Ordre ou d’un juge en cas de mise en cause ordinale ou judiciaire, plusieurs éléments laissent penser que le praticien a agi comme il se doit :
- L’obligation de soins n’a pas été méconnue en refusant de continuer à recevoir le patient, au regard de l’attitude désinvolte qu’il a eue envers le praticien.
- Le motif de rupture du contrat de soins n’a aucun caractère discriminatoire.
- Les soins dentaires nécessitent bien souvent un traitement dans la durée et se résument rarement à une seule consultation. Or, l’article L1110-3 alinéa 7 du CSP précise que le professionnel de santé peut opposer "un refus de soins fondé sur une exigence […] professionnelle essentielle et déterminante de la qualité, de la sécurité ou de l’efficacité des soins" et l’absence de suivi des soins par le patient remet justement en cause l’efficacité du traitement.
- Le chirurgien-dentiste n’a pas laissé son patient sans solution, puisqu’il lui a communiqué les coordonnées de confrères pour la poursuite des soins.
Cas n° 2 : un patient "nomade"
Un praticien prend en charge un patient pour des douleurs dentaires d’origine indéterminée. Lors de la seconde consultation, il apprend qu’entre celle-ci et la première, le patient est allé consulter un autre praticien. La même situation se produit entre la seconde et la troisième consultation.
Constatant alors la rupture de la relation de confiance avec son patient, le praticien lui indique par un courrier qu’il ne souhaite pas continuer sa prise en charge.
L’attitude du chirurgien-dentiste semble prudente :
- La rupture du contrat de soins est justifiée : il n’était pas pertinent de continuer à recevoir ce patient alors qu’un autre praticien était régulièrement consulté, au risque que les deux prises en charge parallèles se télescopent.
- Le fait de consulter en parallèle traduit un manque de confiance du patient.
- La rupture du contrat de soins a été expliquée au patient.
Cas n° 3 : un patient bénéficiaire de la CMU
Un patient, bénéficiaire de la Couverture Maladie Universelle (CMU), se rend chez un chirurgien-dentiste en vue de préparer un logement de tenon sur la dent 23.
Au cours du second rendez-vous et avant même de procéder à toute intervention, le praticien met fin à la consultation et explique au patient qu’il ne pourra pas le prendre en charge pour la suite du traitement, sans lui donner de raison particulière. Il l’invite à consulter un autre praticien, sans cependant lui suggérer des noms de confrères ou de cabinets.
La responsabilité du chirurgien-dentiste pourrait se trouver engagée si le patient saisissait l’Ordre. En effet :
- Il a interrompu brutalement les soins, alors pourtant qu’il avait accepté de recevoir ce patient.
Il ne donne aucune raison valable à cette interruption, ce qui constitue un défaut d’information et de suivi et fait planer le soupçon quant à une possible discrimination liée à la qualité de bénéficiaire de la CMU. L’article L1110-3 déjà cité dispose en effet que : "un professionnel de santé ne peut refuser de soigner une personne […] au motif qu'elle est bénéficiaire de la protection complémentaire ou du droit à l'aide prévus aux articles L861-1 et L863-1 du code de la sécurité sociale, ou du droit à l'aide prévue à l'article L251-1 du code de l'action sociale et des familles". - Il a laissé le patient sans solutions, en ne lui indiquant pas des confrères susceptibles de le prendre en charge.
À retenir
La rupture du contrat de soins n’est pas une décision anodine, elle doit être réfléchie.
- Elle est justifiée lorsque la confiance entre le praticien et le patient, qui est au cœur de leur relation, est rompue.
- Les motifs doivent toujours en être expliqués au patient.
- Le patient ne peut être "abandonné" sans solution : le praticien doit l’orienter vers des confrères ou lui fournir une liste de praticiens à consulter.
- En aucun cas la rupture du contrat de soins ne peut reposer sur des motifs discriminatoires.