Un quiproquo qui débouche sur des insultes
Un patient se présente au cabinet de son médecin généraliste traitant pour une consultation, conformément au rendez-vous pris auprès du secrétariat deux mois auparavant.
Il s’avère qu’en raison d’un malentendu lors de la prise de rendez-vous, le créneau n’est en fait pas disponible, ce dont le patient est informé. Le remplaçant du généraliste l’invite néanmoins à patienter dans la salle d’attente du cabinet.
Sur un ton agressif, le patient adresse alors des propos désobligeants à la secrétaire, mettant en cause ses compétences professionnelles. Le praticien lui demande alors de quitter les lieux et de "se chercher un autre médecin".
Le patient saisit d’une plainte la chambre disciplinaire de première instance du Conseil de l’Ordre des médecins. La plainte est rejetée mais, sur appel devant la chambre disciplinaire nationale, un blâme est infligé au médecin. Il se pourvoit en cassation devant le Conseil d’Etat.
Sur quels fondements le blâme a-t-il été infligé ?
Le plaignant invoquait deux articles du code de la santé publique.
- L’article R.4127-3, selon lequel le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine.
- L’article R.4127-47, selon lequel quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée.
La chambre disciplinaire de première instance considère qu’en refusant de recevoir le patient et en l’invitant à chercher un autre médecin, le praticien a manqué aux principes posés par ces deux articles.
Le Conseil d’Etat annule le blâme
Le Conseil d’Etat annule la décision de la chambre disciplinaire nationale, par un arrêt du 29 juin 2020.
Pour expliquer son refus de recevoir le patient alors qu’il l’avait, dans un premier temps, invité à patienter en salle d’attente, le praticien invoquait l’agressivité manifestée, mais également l’absence de toute urgence médicale.
C’est cet argument qui va fonder la décision du Conseil d’Etat. La chambre disciplinaire nationale devait s’interroger sur le caractère urgent ou non des soins. Ne l’ayant pas fait, elle a insuffisamment motivé sa décision et inexactement qualifié les faits.
L’urgence, une notion essentielle en cas de refus de soins
Le médecin, confronté à un patient agressif, irrespectueux, insultant, n’a pas l’obligation de le recevoir en consultation et de poursuivre les soins. Mais il doit s’entourer de certaines précautions, précisées à l’article R.4127-47 du code de la santé publique : la continuité des soins doit être assurée, le médecin doit avertir le patient et assurer la transmission des informations utiles au confrère qui prendra la suite.
Cet article précise également que la possibilité de refuser des soins n’existe que "hors le cas d’urgence et celui où le médecin manquerait à son devoir d’humanité".
Il existe donc un critère qui doit être systématiquement pris en considération en cas d’interruption des soins : l’existence – ou non – d’une situation d’urgence. Il appartiendra au médecin qui invoquera l’absence de toute notion d’urgence d’en apporter la preuve. Il est donc plus prudent, dans ces circonstances, de procéder malgré tout à un examen clinique ou du moins un interrogatoire du patient.
C’est précisément ce critère d’absence d’urgence qui n’a pas été examiné par la chambre disciplinaire nationale, malgré les arguments avancés par le médecin, et c’est ce qui a justifié la décision du Conseil d’Etat.
Dès lors qu’il n’y a pas d’urgence, le praticien est fondé à cesser la prise en charge, dans le respect des conditions posées par l’article R.4127-47.