Le secret médical, une exigence très ancienne
Le secret médical est le premier secret professionnel individualisé et clairement énoncé par Hippocrate. La règle du secret fait partie des traditions médicales les plus anciennes et les plus universelles.
Aujourd’hui, il est réglementé par le Code pénal à l’article 226-13 faisant ainsi de sa violation un délit. Il figure bien évidemment en bonne place dans le Code de la santé publique aux articles L.1110-4 et R.4127-4. La loi du 4 mars 2002 a modifié notre conception du secret médical qui est devenu un droit du patient et non plus seulement une obligation déontologique.
Le secret médical couvre l’ensemble des informations concernant un patient qui sont portées à la connaissance du professionnel de santé (identité, diagnostic, traitement, confidences…).
Il s’étend à ce qui a été confié par le patient mais également tout ce qui a pu être vu, entendu, compris, voire interprété lors de l’exercice médical.
Le secret est une condition nécessaire à la confiance des malades. Il représente l’essence même de la relation qui doit exister entre un médecin et son patient, lequel doit avoir la certitude que toutes les informations confiées à son médecin et dont il est le maître seront strictement protégées "sous le sceau du secret".
Il n’y a de médecine sans confiance, de confiance sans confidence, de confidence sans secret.
— Pr Louis Portes*
La portée du secret médical en matière de VIH
Le secret médical est un principe général et absolu revêtant même un caractère d’ordre public dont la violation peut donner lieu à :
- des sanctions pénales (article 226-13 du Code pénal : jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende) ;
- des sanctions civiles (article 9 et 1240 du Code civil) ;
- des sanctions ordinales.
Toutefois, dans certaines situations, le législateur a considéré qu’il existait un autre intérêt, plus important que celui du patient, justifiant la révélation :
"Le secret n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret".
Ces cas de dérogations sont énumérés à l’article 226-14 du Code pénal (mineurs ou personnes vulnérables en danger, violences conjugales…).
Le VIH ne fait pas partie des cas de dérogations légales.
Concernant le patient
L’article R.4127-4 du Code de la santé publique rappelle que le secret professionnel est institué dans l’intérêt des patients. Le médecin doit donc impérativement informer son patient de sa séropositivité.
De manière dérogatoire, l’article L.1111-2 alinéa 4 du CSP prévoit qu’un patient a le droit d’être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic "sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission".
Par conséquent, quand bien même un patient souhaiterait ne pas être informé de sa sérologie, le médecin a l’obligation de l’en aviser en raison du risque de transmission de la maladie.
Concernant les autorités de santé
Il est prévu la notification obligatoire de l’infection à VIH aux autorités de santé (médecin inspecteur de santé publique de l’ARS et médecin responsable de la surveillance du VIH à Santé publique France).
L’infection par le VIH fait en effet partie de la liste des maladies à déclaration obligatoire (article L.3113-1 du CSP et arrêté du 16 avril 2007). Cette transmission, qui correspond à des exigences de surveillance épidémiologique, d’amélioration de la prise en charge médicale et d’adaptation des actions de prévention, garantit l’anonymat de la personne infectée par le VIH.
Concernant les proches du patient
C’est dans cette hypothèse que le respect absolu du secret médical n’est pas toujours chose aisée. En effet, le risque de contamination par le VIH que fait courir un patient à son partenaire est l’un de ces cas de conscience.
L’argument, souvent instinctif, est de pouvoir trahir le secret dans l’intérêt d’autrui, afin de protéger les proches. Or il n’existe pas de dérogation spécifique au secret médical prévue par la loi en ce qui concerne le VIH.
Ainsi, dans l’hypothèse où un patient souhaiterait ne pas divulguer sa séropositivité, même à son conjoint, les professionnels de santé ont l’obligation de respecter sa décision.
Le médecin doit en revanche tout tenter pour convaincre son patient d’en informer son partenaire et lui expliquer les précautions à prendre pour éviter toute transmission.
Le Conseil de l’Ordre National des Médecins (CNOM) préconise en outre au praticien de proposer au patient, qui a préalablement informé son partenaire, une consultation conjointe au cabinet afin d’apporter tous les renseignements utiles.
Certains médecins ont pourtant parfois été tentés d’informer les partenaires des patients séropositifs en craignant pour leur santé : la non divulgation d’un risque de contamination n’est-elle pas constitutive de l’infraction de non-assistance à personne en péril ?
Justice pénale et VIH
Un médecin ne peut se voir reprocher l’infraction de non-assistance à personne en péril (article 223-6 du Code pénal) lorsqu’il s’est abstenu d’informer le partenaire de la personne séropositive.
En effet, pour que ce délit puisse être retenu, le caractère imminent et certain du péril doit être démontré. La notion de péril suppose une situation présente de danger, une situation critique qui fait craindre de graves conséquences immédiates pour la personne qui y est exposée.
Il y a donc une distinction entre le péril qui suppose une obligation de porter secours au sens de l’article 223-6 et le danger qui n’entraîne pas de délit de non-assistance.
Or il a été jugé que le risque de contamination par le VIH ne constituait pas un péril imminent puisque le danger de contamination n’est pas immédiat et certain mais simplement potentiel et différé.
Un praticien ne peut donc pas se prévaloir du risque d’être condamné pour non-assistance à personne en péril afin de contrevenir à son obligation de respecter le secret médical.
De même, un médecin ne peut pas être condamné pour non-dénonciation de crime puisque l’article 434-1 du Code pénal a expressément exclu les personnes tenues au secret médical.
Le raisonnement est différent pour la personne qui contaminerait sciemment son ou ses partenaires.
Ainsi, depuis l’apparition de la maladie, des plaintes pour transmission du virus du sida par voie sexuelle ont été déposées mais elles ont rarement abouti en raison de la qualification d’empoisonnement sur laquelle elles se fondaient. La Cour de cassation a en effet toujours refusé cette qualification d’empoisonnement lorsque la volonté de tuer n’est pas avérée.
En revanche, les juridictions pénales1 n’hésitent pas à condamner les personnes atteintes du VIH qui, en toute connaissance de cause, ont eu des relations sexuelles non protégées pour "administration volontaire d’une substance nuisible ayant entraîné une infirmité ou une incapacité permanente".
En conséquence, aucune dérogation au secret médical en matière de VIH n’étant prévue par la loi, le médecin et toutes les personnes participant à la prise en charge du patient sont tenus au secret médical et doivent respecter la décision du patient qui souhaite ne pas révéler sa sérologie.
Notification des IST aux partenaires : vers une évolution de la législation ?
La HAS a récemment publié un communiqué2 proposant de faire évoluer le cadre législatif en matière de secret professionnel s’agissant des infections sexuellement transmissibles (IST).
Actuellement, le médecin ne peut qu’inciter son patient qui vient d’apprendre sa séropositivité à informer son partenaire afin qu’il puisse se faire dépister.
La HAS propose ainsi de modifier la réglementation actuelle, toujours avec le consentement du patient infecté, afin d’autoriser :
- Un tiers (professionnel de santé, association, médiateur…) à notifier au partenaire le risque de transmission, lorsque le patient infecté ne veut pas le faire lui-même pour des raisons qui lui appartiennent.
- Le médecin à remettre une ordonnance au patient au profit de son partenaire sans consultation préalable de ce dernier.
L’objectif est de faire de la notification un outil à part entière dans la lutte contre les IST afin d’interrompre la chaîne de transmission.
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Cependant, le CNOM s’était déjà prononcé en 2019 sur le procédé de notification par un avis négatif en considérant que le médecin n’avait pas à intervenir directement auprès des partenaires du patient et cette notification par le médecin n’aurait pas un effet bénéfique3.
Notes et références
*- Pr Louis Portes, Communication à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, 5 juin 1950 publiée dans l’ouvrage À la recherche d’une éthique médicale
1- Notamment Cour d’appel de Colmar du 4 janvier 2005 et Cour d’appel de Rouen du 22 septembre 1999
2- Communiqué du 9 mars 2023, Notification des IST aux partenaires : des recommandations pour interrompre la chaîne de transmission
3- Bulletin de l’Ordre national des médecins n° 64, novembre-décembre 2019