La distinction entre modification du contrat et changement des conditions de travail
Le contrat de travail respecte les règles de la théorie générale du droit des contrats : il tient lieu de loi entre les parties (article 1134 du Code civil), et nécessite, en cas de volonté de modification, l’accord des deux parties (article 1193 du même code).
Pour autant, le contrat de travail est un contrat particulier : l’employeur est une "partie forte". Il dispose de trois pouvoirs : de direction, réglementaire, disciplinaire.
Sous couvert du pouvoir de direction, tout changement du contrat de travail n’emportera pas l’obligation d’obtenir l’accord du salarié. L’employeur est responsable de l’organisation, de la gestion et de la bonne marche de l’entreprise. Il dirige la structure et les salariés qui y travaillent. Il doit donc bénéficier d’une marge de manœuvre dans l’organisation du travail.
Les juges ont donc, en l’absence de définition légale, imposé qu’en fonction de la nature et des circonstances du changement souhaité, soit il constituera :
Changement des conditions | Une modification du contrat de travail (et notamment de l'une de ses conditions essentielles) |
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Ce changement s'impose au salarié | Cette modification nécessite l'accord préalable du salarié |
Le refus du salarié pourrait être constitutif d'une faute pouvant être sanctionnée par l'employeur | Le refus du salarié ne constituera pas une faute, l'employeur ne pourra pas appliquer son pouvoir disciplinaire |
Attention, cette distinction ne concerne pas les salariés protégés tels que définis aux articles L2411-1 et suivants du Code du travail car, du fait de leur statut particulier, ils ne peuvent se voir imposer une modification du contrat de travail, ni un changement des conditions de travail. Dans les deux cas, ils doivent pouvoir acquiescer à la proposition de l’employeur.
Une nuance existe cependant dans le cas où l’employeur peut justifier des raisons qui l’ont conduit à proposer la modification du contrat de travail : il peut alors licencier le salarié la refusant, mais attention, sans que le motif du licenciement ne soit le refus en lui-même. L’employeur doit remonter à la cause initiale qui l’a conduit à devoir mettre en œuvre la modification du contrat.
- L’employeur annonce par exemple la fermeture d’un service au sein de l’entreprise. Il propose donc un autre poste au salarié qui y travaillait, avec une modification de ses fonctions (c’est donc une proposition de modification du contrat de travail).
Si le salarié refuse ce changement de service, l’employeur ne pourra pas le sanctionner pour ce refus. Mais il pourrait quand même procéder au licenciement du salarié, uniquement s’il choisissait comme motif l’impossibilité de poursuivre le contrat de travail du fait de la fermeture du service (et non pas du fait du refus du salarié de la modification du contrat de travail).
En tout état de cause, la proposition de modification du contrat de travail et la décision d’aménagement des conditions de travail ne seront valables qu’en l’absence d’abus de droit* et/ou de discrimination de la part de l’employeur.
À titre informatif, cette analyse peut s’appliquer au contrat de travail à durée indéterminée comme à un contrat de travail à durée déterminée.
Les critères de la modification du contrat de travail
La modification du contrat de travail s’apprécie en fonction des clauses qu’il contient, mais aussi au regard des éléments dits par nature "essentiels" à tout contrat de travail.
Afin d’avoir une indication sur le potentiel caractère essentiel d’un élément du contrat de travail, une directive européenne définit les éléments essentiels devant être portés à la connaissance du salarié par l’employeur au moment de la conclusion du contrat (articles 2, §2 et 4, §1 de la Directive 91/533).
Les éléments par nature "essentiels" sont principalement (liste non exhaustive) :
Les fonctions et la qualification du salarié
En principe, la qualification du salarié ne peut pas être modifiée sans l'accord de ce dernier.
Cependant, l’employeur peut faire évoluer les tâches effectuées par le salarié dans le cadre de son pouvoir de direction. Donc, si la nouvelle tâche confiée au salarié correspond à sa qualification (qui reste inchangée), l’employeur n’a pas besoin de demander l’accord au salarié, à qui cette nouvelle tâche s’impose.
- C'est le cas d’une salariée directrice d'usine qui se verrait demander, dans le cadre d'une nouvelle organisation de l'entreprise, de déléguer certaines tâches à ses collaborateurs pour consacrer plus de temps au développement de nouveaux produits, ce qui correspondait à sa qualification et à ses attributions.
Son licenciement pour faute grave résultant de son refus de suivre ces instructions est alors fondé (Cass. soc., 30/04/2014, n°13-13.834).
Par contre, si les nouvelles tâches confiées remettent en cause la qualification, le niveau de responsabilité ou la nature même de l’activité du salarié, l’employeur doit obtenir son accord car cela induit une modification de son contrat de travail.
- C'est le cas où l'étendue des fonctions et le niveau de responsabilité du salarié sont fortement réduits, même si la rémunération ou la qualification ne sont pas affectées (Cass. soc., 30/03/2011, n°09-71.824).
- Ou celui du salarié engagé en qualité de "médecin SSI" (prenant en charge les patients du service de soins indifférencié) qui se voit proposer, dans le cadre d'une mutation, des fonctions ne comportant plus de suivi thérapeutique des patients, mais consistant exclusivement (au sein du service programme de médicalisation des systèmes d'information), à améliorer la lecture des dossiers médicaux de l'établissement, afin que le personnel de service assure un codage et une facturation selon les taux de sévérité. Cette mutation constitue une modification du contrat de travail, que le salarié est en droit de refuser (Cass. soc., 26/09/2018, n°17-10.192).
La rémunération du salarié
La rémunération du salarié est un élément essentiel du contrat de travail, qui ne peut pas être modifié, ni dans son montant, ni dans sa structure, sans l’accord du salarié.
Cela, même si l’employeur souhaite opérer une modification plus avantageuse du mode de calcul ou de la structure de la rémunération du salarié : il doit obtenir son accord préalable.
Peu de situations permettent donc une modification de la rémunération du salarié sans obtenir au préalable son accord.
- Mais quelques exemples existent comme l’employeur qui opèrerait un changement des horaires du cycle de travail, qui aurait pour conséquence une diminution de la prime de panier liée aux horaires de nuit (étant précisé que cette prime n’était pas prévue dans le contrat de travail du salarié ; Cass. soc. 09/04/2015, n°13-27.624).
La durée du travail
En principe, la modification de la durée du travail prévue dans le contrat de travail nécessite l’accord du salarié. Cela, quand bien même elle n’emporterait pas de modification de la rémunération du salarié à la hausse ou à la baisse.
- C’est par exemple le cas d’un salarié passant d’un poste à temps plein à un poste à 80 %.
Cependant, il existe quelques rares exceptions, il convient donc d’être attentif à l’origine et aux conséquences de cette modification.
A contrario, le changement des horaires de travail peut en principe être fait librement par l’employeur, sans nécessiter l’accord du salarié.
- Il en va ainsi d’une nouvelle répartition de l’horaire au sein de la journée (si la durée du travail et la rémunération restent identiques), et du changement de la répartition du travail sur la semaine.
Toutefois, si les horaires de travail ont été définis dans le contrat de travail, ils peuvent devenir un élément essentiel nécessitant l’accord du salarié pour être modifiés.
- C’est le cas par exemple, lorsque le contrat de travail prévoit que "le salarié réalisera 35 heures par semaine, organisées de la manière suivante : du lundi au vendredi, de 9 h à 17 h".
De la même manière, si le changement des horaires de travail du salarié a pour conséquence un bouleversement très important dans l’organisation du temps de travail, ce changement peut être considéré comme une modification nécessitant l’accord du salarié.
- Il en va ainsi lorsque l’employeur souhaite un passage (total ou partiel) d’un horaire de jour à un horaire de nuit, même de manière temporaire ; ou à l’inverse, un passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour.
En outre, si le changement de la répartition des horaires de travail porte une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos, son accord est alors nécessaire.
- C’est par exemple le cas lorsqu’un employeur décide de modifier les horaires d’une salariée en la faisant travailler le mercredi au lieu du samedi, alors qu’il savait (notamment en étant son beau-frère) que ce changement portait une atteinte excessive au droit au respect de sa vie personnelle et familiale.
Il est à noter que la salariée, dans ce cas, est mère de 4 enfants, seule au domicile familial au cours de la semaine, et que l’employeur n’invoquait pas de motifs objectifs justifiant d’avancer le travail du samedi au mercredi (Cass. soc. 08/11/2011, n°10-19.339).
Une exception quant au lieu d'exécution du contrat de travail
En principe, le lieu de travail mentionné dans un contrat de travail n’a qu’une valeur informative et son changement ne nécessite pas l’accord préalable du salarié.
Ainsi, la modification du lieu de travail dans le même secteur géographique n’est donc pas une modification du contrat de travail, et s’impose au salarié.
Les juges n'ont pas défini le terme "secteur géographique" : ils apprécient donc ce critère en fonction du cas qui leur est soumis.
Par exception, le lieu d’accomplissement des missions professionnelles peut être considéré comme un élément essentiel du contrat de travail.
- C’est le cas lorsqu’une clause claire et précise du contrat de travail indique que le salarié exécutera exclusivement son travail dans le lieu cité.
De plus, les juges tiennent compte de l’éventuel impact sur le droit au respect à la vie personnelle et familiale du salarié ou à son droit à la santé et au repos.
- Une salariée ne commettrait pas une faute grave permettant son licenciement, si elle refusait la modification de son lieu de travail dans le même secteur géographique en justifiant de difficultés sur le plan personnel (prise en charge de trois enfants mineurs) et de raisons médicales dûment justifiées par des certificats médicaux du médecin traitant et du médecin du travail (Cass. soc. 16/11/2016, n°15-23.375).
Les modifications prévues dans le contrat de travail
Le contrat de travail peut prévoir expressément qu’une modification de l’un de ses éléments essentiels par l’employeur sera possible, sans nécessiter l’accord préalable du salarié.
C’est notamment le cas de :
- la clause de mobilité ;
- la clause de variation de salaire ;
- la clause de variabilité des horaires ;
- …
Par conséquent, lorsque le contrat de travail lui-même prévoit une éventuelle modification et qu’elle se réalise, elle ne constitue pas en principe une modification du contrat de travail, mais une simple exécution du contrat. On l’assimilera pour ses conséquences, à un changement des conditions de travail.
- Le contrat de travail du salarié prévoit par exemple une clause de mobilité géographique indiquant que "le salarié prendra ses fonctions à l’adresse 10 rue de VALMY, 92800 PUTEAUX ; étant convenu que compte tenu de la nature des activités exercées et des nécessités de l’entreprise, le salarié pourra être amené à changer de lieu de travail, dans la zone géographique de la région île de France".
Si l’employeur justifie les nécessités de l’entreprise et que la nature des activités exercées par le salarié l’explique, cette modification du contrat de travail ne sera pas soumise à l’accord préalable du salarié, elle s’imposera à lui.
Le cas particulier de la modification du contrat de travail pour motif économique
La modification du contrat de travail pour motif économique est originale en ce que, pour sa part, une procédure est définie par la loi (article L1222-6 du Code du travail).
Si l’employeur souhaite modifier le contrat de travail de son salarié pour un motif économique, il doit en faire la proposition au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception.
Dans ce courrier, il doit informer le salarié qu’il dispose d’un délai d’un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. Ce délai est par contre de 15 jours si l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire.
Si le salarié ne communique pas son refus dans ce délai, il est réputé avoir accepté la modification proposée : son silence vaut donc acceptation.
Le motif économique est défini au sein de l’article L1233-3 du Code du travail, qui liste les éléments/situations pouvant attester d’un motif économique.