Une dissection carotidienne 5 jours après une intubation
Il s’agit d’une patiente de 43 ans, sans antécédents médicaux connus, déjà opérée d’une cholécystectomie et d’une césarienne et pratiquant le fitness.
Vers 23 h, elle se rend aux urgences de la clinique pour des douleurs abdominales et des vomissements. Le TDM révèle l'existence d'une appendicite aiguë rétro cæcale. Une antibiothérapie par Augmentin® est introduite et poursuivie jusqu’en postopératoire.
Le lendemain, la patiente bénéficie d’une appendicectomie par voie cœlioscopique sans complications. L’intubation est réalisée sans difficulté.
La patiente retourne à domicile à J+2. Avant la sortie, elle aurait signalé des douleurs rétro-auriculaires gauches qui ne sont pas tracées dans le dossier médical.
À J+4 postopératoire, elle consulte son médecin généraliste pour une otalgie gauche pulsatile. L’examen neurologique et la tension étant normaux, un diagnostic "d’otite gauche atténuée par l’antibiothérapie en cours" est retenu. Une ordonnance d’Oflocet® en gouttes auriculaires, Rhinacort® et Solupred® est remise.
À J+5 au soir, il survient un malaise brutal avec perte de connaissance et une suspicion de crise comitiale. À son arrivée, l’équipe du SMUR constate une "hémiparésie droite avec paralysie faciale droite, aphasie. Pas d’anisocorie".
Une prise en charge conforme et diligente de l'AVC mais un pronostic sévère
Elle est donc amenée par le SMUR au CHU de référence où l’IRM met en évidence un AVC sylvien gauche sur dissection carotidienne gauche supra bulbaire sous pétreuse avec thrombus. L’AVC s’étend à la jonction entre l’artère carotide interne et cérébrale moyenne du même côté. L’indication à la thrombolyse n’est pas retenue, en raison de l’extension de l’AVC et de la crise comitiale inaugurale.
Une thrombectomie est tentée mais se révèle infructueuse en raison de l’impossibilité de franchir la sténose et la ré-ouvrir par stenting.
Une procédure par voie controlatérale est également impossible en raison de l’aspect particulièrement tortueux du système carotidien et communicant antérieur. Un traitement par Kardegic® 75 mg/j et Keppra® est introduit.
Les suites sont marquées par la majoration de l’œdème cérébral justifiant une craniectomie de décompression. Une rééducation physique et orthophonique de 6 mois est nécessaire. Cependant, le bilan séquellaire est lourd en raison :
- de l’hémiparésie droite spastique résiduelle chez une patiente droitière ;
- de la paralysie faciale droite ;
- de l’aphasie d’expression ;
- d’une dyscalculie.
Ces séquelles sont responsables d’une incidence professionnelle importante.
L’intubation en cause mais pas de responsabilité de l’anesthésiste selon l’expert
Une expertise judiciaire conclut que la dissection carotidienne gauche est survenue sur un terrain prédisposant, à savoir le caractère tortueux des artères à destinée intra crânienne.
Le geste d’intubation, même si considéré comme simple, a constitué le facteur déclenchant en raison de l’hyper extension de la tête.
Les séquelles fonctionnelles lourdes entraînées par la dissection (DFP 70 %) sont donc le résultat combiné du terrain de la patiente (50 %) et d’un accident non fautif lié aux soins (50 %).
La dissection carotidienne : un accident pas si rare
Les dissections des artères cervico-encéphaliques sont responsables d’environ 25 % des accidents ischémiques cérébraux de l’adulte jeune1. Il s’agit de la seconde cause d’AVC chez des sujets de moins de 45 ans2.
L’AVC sur dissection cervico-encéphalique présente des facteurs de risque et une topographie différente par rapport à celui qui se développe sur terrain athéromateux.
Son impact économique est particulièrement important puisque ce type d’AVC affecte principalement des sujets jeunes.
La dissection carotidienne extra crânienne est la plus fréquente. Elle débute en général 2 cm en aval du bulbe carotidien et s’étend souvent jusqu’à la pénétration intracrânienne de l’artère3. Ceci est dû :
- d’une part, à une plus grande mobilité de cette portion artérielle ;
- d’autre part, au contact proche avec certaines structures osseuses telles les apophyses transverses C1-C2 ou l’apophyse styloïde qui sont responsables de potentiels traumatismes4.
La dissection carotidienne traumatique
Les dissections carotidiennes traumatiques peuvent survenir lors des mouvements forcés de rotation et d’hyper extension du cou avec compression sur les apophyses transverses des premières vertèbres cervicales ou de flexion avec compression entre le maxillaire inférieur et la colonne cervicale.
Toutefois, une origine traumatique exclusive n’est identifiée que dans 40 % des cas5 suite à un accident de la voie publique, strangulation, certains sports. Des traumatismes iatrogéniques directs sont possibles suite à une chirurgie maxillo-faciale, bronchoscopie ou des manipulations cervicales.
La dissection carotidienne spontanée
Plus de la moitié des dissections carotidiennes sont considérées spontanées (comme dans le cas décrit) et une origine multifactorielle est évoquée2, qui associe :
- une faiblesse constitutionnelle ou héréditaire de la paroi artérielle : dysplasie fibromusculaire, maladies héréditaires du tissu conjonctif ;
- des facteurs environnementaux tels un traumatisme mineur (intubation, accouchement, éternuement, manipulation cervicale, repeindre un plafond etc.) ou une infection préalable ;
- des facteurs de risque : HTA, migraine, contraception orale.
Quelle est l'origine d'une dissection carotidienne ?
Il est admis que les dissections se présentent tout d’abord par une déchirure intimale qui permet au sang circulant de trouver un plan de clivage dans la paroi et créer un hématome. L’hémorragie peut également être primitivement intrapariétale, à partir d’un saignement des vasa vasorum3. La sténose disséquante peut se compliquer d’une thrombose intraluminale et embolie distale ainsi qu’une réduction du débit sanguin cérébral. L’augmentation du calibre de l’artère peut déterminer une compression ou l’étirement des structures voisines ; une hémorragie sous-arachnoïdienne ou cérébrale peut survenir en cas de rupture de la paroi artérielle.
Les manifestations cliniques sont donc variables
- Le patient typique avec dissection de la carotide interne se présente avec une douleur de la région latérale de la nuque, de l’hémicrâne et de l’hémiface (composante rétro-orbitaire) associée à un syndrome de Claude-Bernard Horner partiel. Cependant, cette triade classique est retrouvée dans seulement un tiers des cas2.
- Dans un tiers des cas, l’atteinte ischémique sous forme d’infarctus, généralement sylvien de sévérité variable, est révélatrice1. Plus souvent il est précédé de signes locaux ou d’un AIT.
- En règle générale, le délai entre le début des symptômes locaux et les manifestations ischémiques varie entre quelques minutes et quelques semaines, mais en général moins de 4 semaines.
- D’autres manifestations incluent l’acouphène pulsatile et la paralysie des nerfs crâniens, présente dans environ 12 % des cas de dissection carotidienne et intéressant surtout les nerfs de IX à XII, proches de l’artère carotide interne dans son trajet cervical.
- L’hémorragie sous-arachnoïdienne se rencontre essentiellement lors de l'extension intracrânienne de la dissection. "L’imagerie de la paroi artérielle occupe une place primordiale dans les investigations. Le diagnostic de dissection est porté sur l’angio-IRM ou l’angioscanner".
Le traitement de la dissection carotidienne
La nécessité d’un traitement anti thrombotique afin de prévenir un événement ischémique primaire ou une récidive lors d’une dissection carotidienne extra-crânienne est actuellement bien établie. Ce traitement comprend des anticoagulants ou des antiplaquettaires pendant 3 à 6 mois. À l’heure actuelle, une supériorité de l’une des deux thérapies n’a pas pu être démontrée.
Une approche endovasculaire peut également entrer en ligne de compte en cas d’aggravation clinique malgré un traitement médicamenteux optimal6-7.
Les facteurs qui sont associés à une récupération moins bonne sur le plan fonctionnel sont :
- la présence d’une ischémie cérébrale,
- la présence d’une occlusion artérielle,
- un âge plus avancé,
- un déficit neurologique plus sévère à l’admission2.
À retenir
- En périopératoire, il faut être attentif à toute cervicalgie et/ou hémicrânie persistante ou inhabituelle chez un patient jeûne et évoquer ce diagnostic en cas de manœuvres à risque telles une intubation difficile ou une installation à risque (décubitus ventral).
- En cas de suspicion, ne pas retarder le réalisation d’une imagerie appropriée par IRM.
- En cas de confirmation du diagnostic, l’introduction d’un traitement anti-thrombotique peut éviter les complications ischémiques cérébrales.
Crédit photo : A. NOOR / IMAGE POINT FR / BSIP