Des douleurs thoraciques et des dorsalgies qui s'aggravent
Vers 4 h 30 du matin, un patient de 45 ans, obèse, DNID et hypertendu est conduit par les pompiers aux urgences de l’hôpital en raison d’une douleur thoracique d’apparition brutale la veille et qui s’est accrue dans la nuit.
Les examens écartent une cause cardiaque et autorisent la sortie du patient.
Cependant, compte tenu du constat d’une plaie tibiale gauche ulcérée et d’un syndrome inflammatoire (13500 leucocytes et une CRP à 65), il lui est recommandé de prendre rapidement rendez-vous avec un cardiologue, un dermatologue et son médecin traitant.
Le patient consulte son médecin généraliste ostéopathe. Ce dernier objective, outre la plaie tibiale, une furonculose généralisée, connue depuis un an. Il prescrit un prélèvement de la plaie de jambe qui s’avère positif à Staphylocoque aureus multi sensible et Streptocoque agalactiae. Une antibiothérapie permet l’amendement des douleurs et des sensations de fièvre.
Aucune radiographie n’est prescrite, le médecin réalise 3 séances d’ostéopathie pour dorsalgies.
À l’arrêt de l’antibiothérapie après 8 jours, le patient se plaint à nouveau de la douleur thoracique et de l’apparition de dorsalgies importantes d’horaire inflammatoire, non soulagées par les antalgiques.
L’antibiothérapie est reprise par le patient en automédication pendant plus d’un mois.
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Chirurgien-dentiste de profession il s’auto-prescrit les mêmes antibiotiques et des antiinflammatoires non-stéroïdiens.
Par la suite, les douleurs devenant intenables, le patient se présente aux urgences de l’hôpital. Il est retrouvé un syndrome inflammatoire biologique avec une CRP à 36 et, au scanner thoraco-abdomino-pelvien, une lyse osseuse vertébrale de T4-T5. Il est retenu - à ce stade - le diagnostic de spondylodiscite T4-T5.
L’évolution est défavorable, avec dégradation de l’état neurologique du patient. Malgré une prise en charge chirurgicale avec laminectomie, réduction et ostéosynthèse T1T7, il garde une paraparésie L1.
Un retard diagnostique à l'origine d'une perte de chance
Les experts désignés par la CCI retiennent un retard diagnostique en raison :
- de l’automédication du patient d’une part ;
- de la prise en charge non conforme du médecin traitant qui n’a pas prescrit d’imagerie d’autre part.
Ils évaluent la perte de chance liée au manquement fautif du médecin traitant à 15 %.
Les conséquences sont lourdes, notamment sur le plan professionnel
Le patient a vendu son cabinet de chirurgien-dentiste, profession qu’il ne pourra plus exercer. Il devra envisager une reconversion professionnelle.
Quand demander une imagerie ?
Pour rappel, les dorsalgies - comme les lombalgies communes - nécessitent une imagerie seulement après 4 à 6 semaines d’évolution. Dans le cas qui nous occupe, en l’absence d’amélioration des symptômes, il convenait de prescrire des examens radiologiques : radiographies du rachis thoracique face et profil, debout.
Il convient d’éliminer de principe une dorsalgie secondaire non mécanique, d’autant plus si la dorsalgie a un horaire inflammatoire et/ou devient réfractaire à un traitement antalgique :
- une pathologie d’origine viscérale (cardiovasculaire, pleuropulmonaire ou digestive) ;
- une spondylodiscite infectieuse ;
- une tumeur maligne ou bénigne ;
- une fracture vertébrale ostéoporotique ;
- une spondyloarthopathie…
Particulièrement en cas de signes d’alarme (drapeaux rouges ou red flag des anglo-saxons), à rechercher systématiquement :
- origine ou contexte infectieux,
- origine ou contexte inflammatoire rhumatismal,
- origine ou contexte néoplasique,
- symptomatologie à type de fièvre,
- fatigue générale,
- sudations nocturnes,
- perte de poids,
- adénopathies,
- douleurs nocturnes inflammatoires de repos,
- immunosuppression,
- corticothérapie,
- toxicomanie.
Au total, il convient d’éliminer une dorsalgie secondaire d’origine non mécanique en prescrivant au minimum des examens complémentaires radiologiques du rachis thoracique.
En fonction du contexte, il faudra pratiquer :
- des dosages biologiques d’inflammation,
- une radiographie thoracique,
- un ECG,
- une scintigraphie osseuse,
- une endoscopie œsogastroduodénale,
- une échographie abdominale ou un scanner,
- une IRM.
Crédit photo : Amélie Benoist/Image point fr/BSIP