Sous-effectif en personnel : de quoi parle-t-on exactement ?
Il n’est pas si simple de détecter une situation de sous-effectif.
Dans certains services, les textes légaux ou réglementaires fixent le nombre de professionnels requis (médecins, infirmiers, aides-soignants, sages-femmes, gynécologues obstétriciens, anesthésistes, etc.), de jour et/ou de nuit. C’est notamment le cas :
- aux urgences,
- en SMUR,
- en services de réanimation,
- en obstétrique,
- dans les centres de dialyse,
- en chirurgie cardiaque,
- dans les services des grands brûlés,
- dans les services réalisant des greffes,
- pour la réalisation de certaines interventions chirurgicales.
Quand il existe des textes avec des effectifs imposés, le sous-effectif découle naturellement du constat que le nombre de personnes présentes est inférieur au ratio requis.
Mais dans les services "tout venant", aucun effectif n’est imposé. Les calculs pour le déterminer en équivalent temps plein (ETP) sont complexes. Ils tiennent compte de nombreux paramètres (durée annuelle et quotidienne du temps de travail, travail de nuit ou de jour, fractionnement, populations prises en charge, etc.).
Il est donc plus difficile d’identifier une situation de sous-effectif dans ce cas.
De manière générale, son existence ne se déduit pas forcément du constat d’une suractivité des personnels présents. En effet, cette suractivité peut n’être que ponctuelle, par exemple en raison d’un afflux inhabituel de patients.
À l’inverse, il peut exister un sous-effectif même si le personnel n’est pas objectivement sur-occupé à certains moments.
Sous-effectif : quel impact sur la prise en charge des patients ?
Plusieurs études l’ont démontré depuis de nombreuses années : un manque de personnel peut créer un risque pour la sécurité des soins.
Ce risque peut être dû à :
- Des soins réalisés de manière précipitée, puisqu’il faut gérer les prises en charge sur la même durée mais avec moins d’agents : geste trop rapide, absence de vérifications d’usage, non-respect d’un délai entre deux gestes, etc.
- Des délais rallongés d’intervention ou de passage auprès des patients hospitalisés.
- Une surveillance moins attentive.
- Des interruptions de tâches en raison de sollicitations diverses liées au manque de personnel.
- Des glissements de tâches entre soignants pour essayer de gagner du temps ou pour pallier des absences.
- Une concentration de la disponibilité du soignant sur les aspects techniques de la prise en charge, au détriment de la relation soignant-soigné et parfois de l’empathie.
- Une fatigue accrue pour le soignant qui, de ce fait, peut manquer de réactivité ou de vigilance.
Sous-effectif : quel impact en cas de litige ? Est-ce une "excuse" ?
Qui est responsable quand la victime vise des dommages et intérêts ?
Quand le patient sollicite une indemnisation d’un préjudice (procédures civile, administrative ou CCI), la responsabilité personnelle du soignant (hospitalier ou salarié) est rarement retenue.
C’est l’employeur, en tant que commettant, qui doit prendre en charge les éventuelles indemnisations.
Seules exceptions : la faute détachable du service et l’abus de fonction, rarement retenus en pratique.
Quand la prise en charge défaillante est manifestement due à un sous-effectif, la responsabilité de l’établissement est en général retenue pour défaut d’organisation et de fonctionnement du service.
Exemple
Le Tribunal judiciaire de Marseille (jugement 15 février 2024, n°22/01838) a retenu ce défaut d’organisation après le décès d’un enfant des suites d’un accouchement compliqué, avec souffrance fœtale et asphyxie sévère.
Le juge a relevé que l'établissement disposait de deux sages-femmes et deux auxiliaires de puériculture en salle de naissance. Or, cette maternité de niveau 2B réalisant 2 300 accouchements par an aurait dû disposer d’une troisième sage-femme dans le service. Le tribunal a considéré que ce manque de personnel n’a pas permis d’assurer une surveillance adaptée, cause du retard pris dans l’application des forceps.
Qui est responsable quand la victime vise une sanction du professionnel de santé ?
Dans le cadre d’une procédure pénale ou ordinale, la responsabilité du soignant est strictement personnelle.
Les conditions dans lesquelles les soins litigieux ont été réalisés font partie des éléments pris en compte pour apprécier cette responsabilité. Certaines questions vont donc se poser :
- Le secteur dans lequel la complication s’est produite est-il réglementé quant à l’effectif de soignants requis ?
- Combien y avait-il de soignants dans le service lors des faits ? Y avait-il ce jour-là un absentéisme notable ?
- Combien de patients étaient pris en charge simultanément ? S’est-il produit un événement inhabituel, par exemple un afflux soudain de patients en raison d’un accident de la route ?
- Y a-t-il eu plusieurs complications à gérer en même temps ?
- Le personnel était-il sur-occupé ?, etc.
Tenir compte de ces éléments est logique : le comportement d’un soignant débordé, confronté à des tâches qui s’accumulent, ne peut être évalué de la même manière que celui d’un soignant dont la charge de travail est normale.
Mais attention : le sous-effectif ne sera pris en compte que s’il a eu un impact prouvé sur la prise en charge. Et même dans ce cas, il ne suffira pas toujours, à lui seul, pour dédouaner le soignant de toute responsabilité.
Dans ce genre de circonstances, l’impact du sous-effectif pourra donc être très différent selon les faits propres à chaque affaire.
Que faire pour se protéger en cas de sous-effectif ?
Un sous-effectif, surtout s’il est récurrent, peut constituer un risque pour la sécurité des soins et pour les patients pris en charge. Il multiplie aussi le risque pour le soignant d’être mis en cause. Si vous y êtes confronté, vous ne devez donc pas rester passif.
Alertez votre hiérarchie
Il est vivement conseillé d’alerter sa hiérarchie (directeur de l’établissement, chef de service, cadre, etc.). Ainsi, en cas de litige, l’établissement ne pourra pas prétendre ignorer les problèmes d’effectifs.
Pour ce faire, il est conseillé de :
- Privilégier une démarche collective : un sous-effectif chronique affecte généralement plusieurs soignants, qui en subissent tous les effets, à des degrés divers. Un signalement réalisé à plusieurs aura plus de poids qu’une démarche individuelle. Il présentera aussi l’avantage de ne pas en faire porter tout le poids à une seule personne.
- Préférer la forme écrite à la forme orale : l’avantage du courrier ou du courriel est qu’il permet de conserver une trace tangible de la démarche.
- Attention aux termes employés : l’objectif n’est pas de "régler des comptes" avec sa hiérarchie mais bien de signaler une situation contraire aux textes et susceptible de nuire aux patients.
- Dans l’idéal, faire signer le courrier par tous les soignants concernés par le problème de sous-effectif.
- Bien veiller à conserver un double du courrier.
Tracez toute difficulté dans la prise en charge liée à un sous-effectif
Il ne s'agit évidemment pas d'adopter une attitude défensive et de consigner systématiquement dans les dossiers des patients les éventuels problèmes d'effectif.
Mais il est recommandé de noter au moins les faits marquants en lien avec le sous-effectif (récurrent ou ponctuel), dès lors qu'ils ont eu une incidence sur les soins. C’est encore plus vrai s’il s’est produit une complication.
Par exemple, il pourra être précisé que :
- vous avez été interrompu par un collègue en raison de la forte activité dans le service,
- vous avez dû écourter un passage auprès d'un patient pour gérer une urgence,
- etc.
En cas de litige, le dossier médical est analysé précisément. De telles mentions auront le mérite de mettre en lumière le sous-effectif et son possible rôle néfaste dans la prise en charge du patient.