Un état qui se dégrade progressivement…
Cinq jours après avoir consulté aux urgences pour une fracture d’un métatarse et avoir été mis sous anticoagulant du fait de l’immobilisation plâtrée décidée, un patient de 50 ans, obèse, marié et père d’une jeune fille de 14 ans, contacte le SAMU en pleine nuit.
Il est fébrile, se plaint de courbatures et se sent fatigué depuis la veille. Après interrogatoire, en l’absence d’urgence ressentie, l’appel est redirigé vers SOS médecin.
Une heure plus tard, le médecin arrive au domicile du patient. La température est mesurée à 39° C, la PA, la fréquence respiratoire et la saturation sont mesurées et normales, seule étant notée une tachycardie (109/mn).
Le praticien examine le patient et ne retrouve ni point d’appel infectieux ni signes de gravité, l’auscultation cardiopulmonaire en particulier étant normale. Une bandelette urinaire est faite (négative) ainsi qu’un test de dépistage Covid (également négatif).
Le médecin rassure donc le patient en évoquant un syndrome grippal et lui remet une ordonnance comportant du paracétamol et de l’ibuprofène, à prendre en seconde intention en cas d’inefficacité du paracétamol, pour une durée de 3 jours. Les conseils usuels de re consultation lui sont donnés.
Quatre jours plus tard, le patient recontacte le SAMU. Il se plaint essentiellement de douleurs très importantes au niveau de l’épaule et du thorax l’empêchant de béquiller. Sur demande du régulateur, la douleur est reproduite à la palpation de l’épaule, de telle sorte qu’il redirige à nouveau l’appel vers SOS médecin.
Cette fois, c‘est un autre praticien qui se rend au domicile du patient. La visite est rapide et limitée à un interrogatoire. Le diagnostic de tendinite, évoqué par le régulateur, est retenu.
Deux jours plus tard, le patient contacte pour la troisième fois le SAMU, se plaignant d’une dyspnée apparue brutalement dans la nuit et associée à une douleur plutôt médiothoracique. Cette fois, le régulateur décide de son transfert aux urgences de l’hôpital voisin.
Un décès causé par une endocardite
À son admission, il est noté une saturation à 86 % justifiant sa mise sous O2, et des crépitants diffus.
Le bilan biologique retrouve un syndrome inflammatoire marqué (CRP à 484 mg/L, PCT à 6,45 µg/L), une insuffisance rénale aiguë, une cytolyse. Les hémocultures identifient un staphylocoque.
Un traitement antibiotique est rapidement mis en œuvre et le patient admis en USC, avant d’être finalement transféré en réanimation.
Le bilan entrepris montre une pneumopathie bilatérale puis, seulement au bout de la 2e échographie, "une végétation au niveau de la valve tricuspide de 22 mm de plus grand diamètre associée à une fuite tricuspidienne ¾, une HTAP estimée à 40 + 20 mm".
Un premier avis est pris auprès des chirurgiens cardiaques qui récusent toute indication chirurgicale dans un premier temps.
Il est retenu pour porte d‘entrée possible de cette endocardite tricuspide une origine cutanée puisqu’il n’a été retrouvé, dans le cas présent, ni toxicomanie, ni immunodépression mais simplement quelques lésions d’intertrigo au niveau des orteils.
Quelques jours après, cette endocardite se complique de multiples emboles cérébraux et pulmonaires.
L’évolution étant défavorable sous antibiothérapie adaptée, le patient est transféré en CHU pour y être opéré d’un remplacement valvulaire avec fermeture de la CIA. Il décède cependant 48 heures après.
Comme on pouvait s’y attendre, une procédure est alors engagée par la famille mettant en cause chacun des intervenants, libéraux et hospitaliers.
Selon les experts : les établissements hospitaliers n’ont commis aucune faute
Sans surprise, les experts rattachent le décès à l’endocardite compliquée d’emboles septiques et d’un choc septique. Etant rappelé que "la mortalité des endocardites infectieuses est de 20 %" et que "la mortalité du choc septique se situe entre 40 et 50 % malgré la réanimation".
L’origine nosocomiale est exclue et le rapport entre l’intertrigo, constituant potentiellement la porte d’entrée de cette endocardite, est considéré comme non évident, avec la fracture initiale qui était une fracture fermée.
Concernant la prise en charge, les experts écartent la responsabilité du centre hospitalier, la gravité du patient ayant été immédiatement évaluée, tous examens nécessaires rapidement effectués et le traitement antibiotique administré sans délai, avant même l’admission en USIC.
De même, ils écartent la responsabilité du CHU, étant souligné que le patient a bénéficié d’une prise en charge hautement spécialisée et que l’indication opératoire "nécessaire seulement dans 1 cas sur 2" a été posée au moment opportun. Il est également rappelé les taux de mortalité post chirurgicale de l’ordre de 15 à 25 %.
Selon les experts : un médecin fautif pour absence d’examen clinique
Les experts jugent la prise en charge du premier médecin intervenu à domicile exempte de critiques : le patient a été soigneusement examiné à la recherche de signes de gravité et afin de déterminer l’origine de la fièvre. La durée même de la visite en atteste. Il était impossible d’évoquer une endocardite à ce stade.
Le diagnostic de syndrome grippal était le plus probable en l’absence de point d’appel retrouvé. Quant à la prescription d’AINS réservée à l’inefficacité du paracétamol et sur une courte durée, les experts considèrent que même si elle était "suspecte de pouvoir aggraver certaines situations en cas d’infection sous-jacente, les preuves scientifiques n’étaient pas solides".
En revanche, la prise en charge du second praticien intervenu à domicile est critiquée : celui-ci a reconnu ne même pas avoir examiné le patient et ne pas avoir "pensé utile de refaire un examen clinique" à J3 d’une fièvre étiquetée grippale.
Cette attitude ne correspond pas aux recommandations de bonne pratique, a fortiori devant un malade fébrile.
Pour autant, les experts se disent dans l’incapacité d’affirmer que ceci a fait perdre au patient des chances de survie, dans la mesure où l’examen clinique alors réalisé, 36 heures avant son admission en urgence, n’aurait "peut-être pas fourni d'arguments suffisants pour justifier une hospitalisation ou un transfert aux urgences".
Selon la CCI : une perte de chance imputable à l’absence d’examen clinique
Selon la CCI, il résulte "de l’instruction et notamment du rapport d’expertise ainsi que des débats tenus en Commission, éclairés par les médecins spécialistes présents, qu’un examen clinique conforme aux règles de l’art aurait permis de demander des premiers prélèvements ou une hospitalisation pour avoir accès à des premiers résultats quant à une potentielle infection, et ces 36 heures avant la dégradation de l’état de santé du patient.
Cette faute a directement conduit à un retard de prise en charge d’environ 36 heures (arrivée aux urgences).
Si le patient avait été admis plus tôt, un examen cytobactériologique des urines, réalisé immédiatement et accompagné d’une antibiothérapie probabiliste sur un germe sensible aux antibiotiques (staphylocoque non résistant) aurait eu de fortes chances d’éviter l’endocardite et le décès.
Cette perte de chance est évaluée par la Commission, éclairée par les médecins spécialistes présents, à hauteur de 50 %".
Que retenir de cette affaire ?
- Même si c’est une évidence, toute demande de visite ou de consultation sous-tend la pratique d’un examen clinique. Car si l’interrogatoire du patient est un élément nécessaire de la consultation médicale, il n’est pas suffisant ! Ne pas examiner reste de fait indéfendable et ne peut que susciter l’incompréhension, la colère et parfois la rancœur des patients, notamment en cas d’évolution défavorable.
- Le médecin ne peut se réfugier derrière le diagnostic évoqué par un précédent confrère pour justifier le sien. Dans le cas présent, le médecin du SAMU a évoqué le caractère mécanique de la douleur mais à juste titre, ne pouvant examiner le patient, il a prudemment déclenché la visite d’un praticien pour ce faire… et remettre éventuellement en question la "bénignité" des douleurs évoluant dans un contexte infectieux récent.
- En cas de fièvre, le but de l’examen clinique est, avec la mesure des paramètres vitaux, d’une part de rechercher un point d’appel infectieux pouvant guider l’antibiothérapie et, d’autre part, d’apprécier la tolérance de la fièvre. Selon les cas, une hospitalisation peut s’imposer, ou a minima la réalisation d’examens en urgence.
- Enfin, les membres de la CCI comme les magistrats ne sont pas tenus de suivre les conclusions des experts. Certains des membres de la CCI sont des professionnels de santé, parfois tout aussi compétents que les experts désignés pour se prononcer différemment lors des discussions en séance !