Une sortie non surveillée qui débouche sur un meurtre
Un patient souffrant de psychose délirante chronique est hospitalisé depuis deux ans sous le régime de l'hospitalisation sans consentement. Son suivi est majoritairement assuré par un médecin psychiatre qui connaît l'ensemble de ses antécédents et a régulièrement établi les documents nécessaires au maintien en placement sous hospitalisation d'office.
A la faveur d'une autorisation de sortie non surveillée, signée par un praticien associé attaché de l'établissement, le patient s'échappe du parc non clos et poignarde mortellement un passant.
Les ayants droit de la victime poursuivent pénalement le médecin psychiatre ainsi que l'établissement hospitalier pour homicide involontaire, du fait de l’autorisation de sortie sans surveillance d’un patient dont la dangerosité était connue.
Un jugement, confirmé par un arrêt d'appel, relaxe l’établissement mais condamne le psychiatre à 18 mois d'emprisonnement avec sursis pour homicide involontaire. Ce dernier se pourvoit en cassation.
Par un arrêt rendu le 22 octobre 2019, la Cour de cassation confirme que le psychiatre a commis une faute caractérisée, en lien de causalité certain avec le décès du passant. Le pourvoi est donc rejeté.
Rappel sur les conditions d’engagement de la responsabilité pénale d’un auteur indirect
L'article 121-3 du code pénal prévoit que les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, ou encore qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, peuvent être considérées comme responsables pénalement, sous certaines conditions :
- avoir commis, de façon manifestement délibérée, une violation d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ;
- ou avoir commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité, qu'elle ne pouvait ignorer de par ses fonctions, ses missions, ses compétences et les moyens dont elle disposait.
A ces conditions s'ajoute celle de l'existence d'un lien de causalité certain entre le comportement reproché et le dommage.
En l’espèce, c’est sur le fondement d’une faute caractérisée que la Cour de cassation confirme l’arrêt, cette faute résultant de plusieurs éléments, que la Cour détaille.
Le psychiatre n’aurait pas dû laisser un praticien attaché associé signer l’autorisation de sortie
L'autorisation de sortie litigieuse a été signée par un médecin psychiatre, ayant un statut de praticien associé attaché, qui assurait régulièrement le suivi du patient dans l'établissement.
Selon la Cour de cassation, il n'était pas habilité, du fait de ce statut, à signer les autorisations de sortie, que ce soit au sein du parc de l'hôpital ou à l'extérieur, même s’il avait la totale confiance du médecin psychiatre du service.
On rappellera en effet que le statut des praticiens attachés associés est régi par les articles R.6152-632 et suivants du code de la santé publique (CSP) et ne prévoit un exercice que sous la responsabilité directe du responsable de la structure dans laquelle ces praticiens sont affectés, ou l'un de ses collaborateurs médecin. Ce statut ne permet que la réalisation d’actes de pratique courante, à la condition d'être placé sous la responsabilité directe du responsable de la structure.
La signature d'un document autorisant la sortie d'un patient hospitalisé sous contrainte n'entre pas dans le cadre des actes courants qu'un praticien attaché associé peut réaliser.
Ce non-respect par le psychiatre des conditions de prescription des sorties a donc contribué à la réalisation du dommage.
Le psychiatre aurait dû prendre en compte les antécédents et la dangerosité du patient
Même si le psychiatre avait signé personnellement l'autorisation de sortie, une telle décision aurait été de nature à engager sa responsabilité pénale.
En effet, le patient présentait de nombreux antécédents de dangerosité, dont certains récents, et avait déjà tenté de fuguer. Le praticien ne pouvait l’ignorer puisqu'il le suivait depuis déjà deux ans et avait établi de nombreux certificats et documents relatifs au placement sous hospitalisation d'office.
Il était donc nécessaire, avant toute décision relative à la mise en place ou au maintien d'une autorisation de sortie non surveillée dans le parc non clos de l'établissement, d'approfondir le parcours du patient, de prendre en compte ses antécédents psychiatriques et de procéder à un ou plusieurs examens approfondis.
Le psychiatre s’en étant abstenu, il a ainsi commis une faute qui a exposé autrui à un risque d'une particulière gravité, constitué en l'espèce par un passage à l'acte violent.
Il est donc établi que le prévenu n'a pas accompli les diligences normales, compte tenu de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Un lien de causalité certain
La Cour de cassation considère comme certain le lien de causalité entre les manquements du psychiatre et le dommage.
En effet, le praticien autorisait les sorties de manière régulière. De telles autorisations, renouvelées sans discontinuer, ne pouvaient que conduire à une baisse de vigilance générale, contribuant ainsi de façon certaine à la délivrance de l'autorisation de sortie donnée le jour des faits. Sans cette autorisation, le patient n’aurait pu accéder au parc non clos.
Peu importe que le praticien n'ait pas été, ce jour-là, le signataire de l'autorisation. Le fait que d'autres fautes aient concouru à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage n'exonère pas pour autant le psychiatre de sa faute propre. C’est bien cette faute qui a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage.