Une absence de prescription et de réalisation d'une antibioprophylaxie
Un patient de 61 ans présente une rhizarthrose gauche douloureuse avec subluxation du 1er métacarpien.
Une indication chirurgicale de trapézectomie gauche avec stabilisation du 1er métacarpien en ambulatoire est retenue.
Il bénéficie d’une consultation d’anesthésie préopératoire faisant état de multiples antécédents, dont un diabète type 2, un alcoolisme sevré, un tabagisme actif à 40 PA.
Il est indiqué "antibioprophylaxie : aucune".
Le jour de l’intervention, le patient est pris en charge par un anesthésiste remplaçant de la clinique. La check-list, remplie par l’IBODE, fait état d’une antibioprophylaxie réalisée alors que celle-ci n’est pas tracée dans la feuille de surveillance anesthésique.
La chirurgie consiste, comme prévu, en une trapézectomie associée à une plastie de stabilisation du 1er métacarpien à l’aide d’une bandelette prélevée aux dépens du long abducteur du pouce. Les suites immédiates se déroulent sans complications.
Une infection aux graves conséquences
À J4 postopératoire, le patient consulte aux urgences de la clinique pour fièvre et œdème de l’avant-bras gauche. Le bilan biologique prélevé retrouve un syndrome inflammatoire avec une CRP à 300. Un lavage articulaire est réalisé en urgence et les prélèvements bactériologiques reviennent positifs à Staphylocoque Aureus Méticillino-sensible (SAMS).
L’évolution est marquée par une progression de l’infection avec constitution d’un phlegmon de la main gauche. Le patient est transféré à J5 vers le CHU de proximité où il bénéficie d’une première reprise en urgence pour des aponévrotomies des différentes loges de la main.
Par la suite, il sera repris 5 fois pour des lavages itératifs. Tous les prélèvements revenant positifs à SAMS, une antibiothérapie IV associant céfépime, clindamycine et vancomycine est poursuivie pendant 15 jours, relayée par une association de rifampicine/ofloxacine pendant 30 jours.
L’évolution chirurgicale est favorable. Toutefois, le patient développe une neuroalgodystrophie (syndrome épaule/main) nécessitant une rééducation de 9 mois.
Il n’a jamais pu reprendre les activités antérieures à l’intervention comme le vélo, la moto et le bricolage en raison d’un déficit de force de serrage de la main gauche.
L'absence d'antibioprophylaxie responsable d'une perte de chance
Le dommage est une infection du site opératoire (ISO) à SAMS en lien avec le non-respect du protocole d’antibioprophylaxie (ABP) en vigueur dans l'établissement : ce manquement fautif a entraîné une perte de chance pour le patient de se soustraire au risque infectieux, évalué à 50 %.
Les deux anesthésistes, (celui de la consultation et celui du bloc opératoire) partagent à 50 % la responsabilité de cette perte de chance :
- le premier pour non prescription ;
- le second pour non administration de l’antibioprophylaxie, compte tenu d’un document interne à la clinique qui validait formellement la responsabilité des anesthésistes en matière d’antibioprophylaxie.
Au niveau des préjudices, un déficit fonctionnel permanent de 20 % est retenu en lien avec la neuroalgodystrophie séquellaire, responsable d’une raideur du membre supérieur gauche.
Antibioprophylaxie en chirurgie de la main : est-elle toujours nécessaire ?
L’antibioprophylaxie (ABP) est couramment utilisée pour prévenir les infections du site opératoire. Bien qu’il existe des preuves à l’appui de son utilisation pour de nombreuses procédures orthopédiques (par exemple fractures ouvertes, fractures des membres inférieurs et arthroplastie totale), son utilisation pour les interventions chirurgicales électives de la main est controversée et la littérature internationale sur le sujet est assez pauvre(1). Toutefois, le taux d’utilisation d'antibiotiques en préopératoire reste élevé pour certaines chirurgies, comme le canal carpien, entre 31 % et 49 %(2).
Le développement d’une infection du site opératoire (ISO) suite à une chirurgie de la main peut avoir des conséquences fonctionnelles importantes, comme la raideur ou l’amputation. L'incidence de ce type d’infection est variable :
- Entre 0,3 et 1,5 % après des procédures électives propres des tissus mous, comme une libération du canal carpien, un doigt à ressaut ou un Dupuytren.
- Entre 1,1 et 9,8 %, pour les fractures ouvertes, les blessures par morsure ou les plaies contaminées(3,4).
Compte tenu de ces faibles taux, les études randomisées contrôlées sont peu nombreuses.
Le germe le plus fréquemment impliqué est le Staphylococcus aureus : le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM), surtout le SARM communautaire (CA-MRSA) est de plus en plus répandu. La fasciite nécrosante est le plus souvent d’origine poly microbienne ou elle est provoquée par le Streptocoque de groupe A(5).
En ce qui concerne la chirurgie programmée de la main, il existe un certain consensus sur le bénéfice d’une antibioprophylaxie pour(1,5,6,7) :
- les procédures d’une durée supérieure à 2 heures,
- la chirurgie prothétique (notamment prothèse de poignet).
Pour la chirurgie des parties molles et la chirurgie articulaire non prothétique, le bénéfice de l’ABP, en termes de réduction des infections du site opératoire, n’est pas prouvé.
Les comorbidités comme le diabète, la corticothérapie, la présence d’une prothèse valvulaire cardiaque, l’arthrite rhumatoïde ne constituent pas une indication non plus(8).
Qui est responsable de l'antibioprophylaxie ?
Les établissements de santé engagent leur responsabilité de plein droit en cas d’infection nosocomiale.
Toutefois, l’ABP reste une cause fréquente de mise en cause des anesthésistes et des chirurgiens.
Puisqu’il est estimé que l’ABP diminue d’environ 50 % le risque d’infection du site opératoire(9), les experts recourent souvent à la notion de perte de chance d’éviter la survenue de l’infection si un manquement fautif est retenu.
La Société Française d’Anesthésie et Réanimation (SFAR) statue que :
- L’indication de l’ABP est posée lors de la consultation d’anesthésie pré-interventionnelle et tracée dans le dossier.
- L’application de la "check-list" fait vérifier l’administration de l’ABP.
- Chaque équipe doit décider du médecin responsable de la prescription de l’ABP et les protocoles d’ABP doivent être écrits, cosignés par les anesthésistes-réanimateurs et les opérateurs validés par l'établissement.
- Les protocoles doivent être disponibles et éventuellement affichés en salles de consultation pré-anesthésique, en salles d’intervention et en unités de soins.
En l’absence d’organisation clairement validée dans le cadre d’une charte, la responsabilité est souvent partagée à parts égales entre l’anesthésiste-réanimateur et le chirurgien.
La check-list constitue une étape fondamentale pour la vérification de l’administration, si nécessaire, d’une ABP.
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Toute dérogation aux protocoles devrait être discutée en amont de l’intervention et tracée dans le dossier.
Il convient de noter que si les recommandations stipulent que l’indication de l’ABP est posée lors de la consultation pré-interventionnelle, les experts retiennent plus souvent, en cas de manquement, la responsabilité de l’anesthésiste présent lors de l’intervention chirurgicale.
Ainsi, pour juger la conformité de l’ABP, les experts s’inspirent des recommandations des sociétés savantes en la matière, en vigueur à l’époque des faits litigieux.
À retenir
- Il est important d’établir des protocoles locaux d’ABP indiquant le médecin responsable de la prescription et prenant en compte les particularités épidémiologiques locales.
- Les conditions pouvant faire retenir la responsabilité de l’anesthésiste en matière d’antibioprophylaxie sont : l’absence de prescription, l’absence d’administration, une administration tardive, une posologie inadaptée, un mauvais choix de la molécule utilisée.
- L’absence de traçabilité de l’administration d’une antibioprophylaxie implique la plupart du temps la responsabilité de l’anesthésiste.
- Les protocoles d’antibioprophylaxie à jour devraient être affichés en salles de consultation pré-anesthésique et dans chaque salle d’intervention. L’anesthésiste titulaire ou remplaçant a l’obligation d’en prendre connaissance et les respecter.