Sensibilité suite à un traitement Invisalign
Un orthodontiste, consulté pour corriger des malpositions dentaires au niveau des deux canines inférieures sur un jeune adulte, recourt à la technique "Invisalign".
Pour la bonne conduite de ce traitement, il est nécessaire de changer les gouttières toutes les deux semaines et d’ajouter une phase de contention.
Le traitement orthodontique débute en 2007 et un suivi régulier a lieu jusqu’en mai 2008. Puis, à compter de septembre 2008, le patient interrompt les soins pendant de nombreux mois et reprend rendez-vous avec le praticien pour la pose d’une gouttière et d’une contention.
Le patient consulte ensuite, à trois reprises, son praticien et se plaint de la rupture du fil de contention ainsi que d’une sensibilité au niveau de la dent 33.
Insatisfait du traitement, il assigne l’orthodontiste devant la juridiction civile.
Insuffisance de précaution dans le suivi du traitement orthodontique selon les experts
À l’issue de la première expertise, l’expert estime que les soins prodigués n’ont pas été attentifs, ni diligents, ni conformes aux données acquises de la science et que l’information du patient a été incomplète.
Le second rapport d’expertise est plus nuancé puisque l’expert considère que les actes et les soins prodigués ont été consciencieux, diligents et conformes aux données acquises de la science mais non attentifs.
L’expert estime en effet, que le professionnel de santé a manqué de précaution dans le suivi du traitement de son patient et conclut que la récidive de la malocclusion est en lien de causalité indirect avec le traitement mis en place. Selon lui, l’état actuel du patient est imputable aux deux parties qui en portent "conjointement" la responsabilité.
En effet, le patient a longuement et provisoirement abandonné son traitement et le praticien n’a pas pris soin de le solliciter de manière effective et continue.
L’expert n’exclut toutefois pas que l’absence de suivi dans la dernière partie du traitement soit liée à une carence dans l’information du patient sur l’importance d’un suivi régulier.
Négligence dans le suivi thérapeutique et défaut d’information à l’origine d’une perte de chance pour les juges civils
En première instance, la responsabilité de l’orthodontiste est retenue. Mais, insatisfait de l’indemnisation octroyée par le tribunal, le patient interjette appel.
La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 26 janvier 2016 confirme partiellement le jugement du Tribunal.
S’agissant du choix de la technique et de l’administration des soins jusqu’en mai 2008, la Cour ne retient aucune faute à l’encontre du praticien dont le protocole "Invisalign" était adapté à l’état dentaire du patient et au but poursuivi, qu’il soit curatif et/ou à visée esthétique.
La Cour rappelle toutefois qu’un orthodontiste est tenu d’une obligation de suivi du traitement qui s’inscrit dans la durée et nécessite, pour être efficace, des soins réguliers ainsi qu’une période de contention selon un calendrier bien défini.
Il incombait donc au praticien de s’assurer de la continuité des soins.
En l’espèce, celui-ci n’établit pas avoir cherché à joindre son patient afin de l’avertir des conséquences néfastes de l’abandon des soins. Il ne démontre pas non plus qu’il a bien informé son patient sur l’importance de respecter le calendrier des soins.
La Cour estime que l’orthodontiste a fait preuve de négligence dans le suivi de son patient pendant une période de neuf mois et considère que ce manquement et le défaut d’information ont entraîné une perte de chance de suivre avec rigueur et régularité un traitement dont l’efficacité était directement liée au respect du protocole et à la régularité des rendez-vous. Mais constatant que le patient a contribué à son propre préjudice du fait de l’interruption des soins pendant près d’un an, elle fixe le taux de perte de chance à 70 %.
Sur le préjudice subi du fait de l’inefficacité du traitement, la Cour condamne le praticien à indemniser le patient à hauteur de 6 160 € après application du taux de perte de chance.
Par ailleurs, la Cour considère que le défaut d’information a causé au patient un préjudice moral indemnisable à hauteur de 1 000 €.
Négligence dans le suivi du traitement : responsabilité conjointe du praticien et du patient
L’obligation de suivi de l’orthodontiste est très exigeante compte tenu de la spécificité des traitements mis en œuvre. En effet, ceux-ci s’inscrivent dans la durée et nécessitent une régularité toute particulière.
Mais l’exigence de suivi dépend également du comportement du patient, qui doit respecter le protocole thérapeutique.
Ainsi, la responsabilité du praticien du fait d’un défaut de suivi peut être atténuée s’il est possible d’invoquer des manquements à l’encontre du patient.
En l’espèce, il est bien relevé par l’expert et la Cour d’appel que le patient a rompu les soins pendant neuf mois "sans motifs extérieurs", de sorte qu’il a contribué à l’inefficacité du traitement.
Cet arrêt peut être rapproché du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Sarreguemines du 16 septembre 2014 qui a considéré que le patient avait contribué à l’aggravation de son état dentaire à hauteur de 30 %.