Quel état des lieux pour l'anesthésie pédiatrique ?
L’anesthésie pédiatrique représente environ 12 % des anesthésies réalisées en France, soit un million d’anesthésies par an1.
La réalisation de l’anesthésie chez l’enfant est guidée par un certain nombre de textes émanant des Sociétés savantes et par le Schéma Régional d'Organisation Sanitaire de 3e génération (SROS 3) de 20042,3 qui, parmi d’autres obligations générées par un classement "restrictif" des établissements, stipulait que "la pathologie chirurgicale pédiatrique nécessitait une compétence et une expérience chirurgicale et anesthésique reconnues, notamment pour la prise en charge de pathologies spécifiques ou pour les enfants d’âge inférieur à 3 ans."
Des restrictions supplémentaires étaient imposées pour les enfants de moins d’un an.
La traduction en est que les enfants ne peuvent plus être considérés comme des "petits adultes"...
En 2007, parmi les établissements qui avaient une activité de chirurgie pédiatrique, la moitié des établissements publics et les 2/3 des établissements privés prenaient en charge des enfants de moins d’un an.
Cette prise en charge était très "dispersée" puisque les 2/3 de ces établissements avaient une activité de moins de 10 séjours par an, essentiellement réalisée en ambulatoire pour des interventions ORL et urologiques (données PMSI).
Ces anesthésies étaient donc réparties dans de nombreuses structures de soins et réalisées par des médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR) pour qui, l’anesthésie pédiatrique n’étant pas prédominante, elle était parfois source de stress ou, au minimum, "d’inconfort professionnel".
Pour tenter d’éclairer ces données, une enquête de pratiques a été réalisée dans différentes structures de soins en France métropolitaine en 2010 dont les résultats ont été publiés en 20124.
- Les 3/4 des MAR répondants ont décrit une pratique pédiatrique très minoritaire (moins de 15 % de leurs actes). Ces chiffres étaient en accord avec une autre enquête publiée en 2002, qui montrait que la polyvalence adulte-enfant était très fréquente dans les structures libérales ou les CHG, alors que la "spécialisation" pédiatrique était quasi la règle dans les CHU.
- Au plan des pratiques professionnelles, les résultats retrouvés permettaient de décrire les grandes lignes de prise en charge concernant l’anesthésie générale des enfants.
Ces pratiques étaient assez homogènes avec quelques particularités selon les modes d’exercice, les différences apparaissant essentiellement entre les MAR exerçant en structure libérale et ceux exerçant en CHU (l’anesthésie pour adénoïdectomie et amygdalectomie illustrait clairement ces différences).
Plusieurs publications épidémiologiques, françaises et étrangères, ont permis d’identifier les risques et les facteurs de risque propres à la pratique de l’anesthésie pédiatrique5,6.
Ces facteurs sont liés :
- à l’organisation générale ou locale des soins (dispersion de l’activité dans des centres non référents, plannings opératoires non dédiés, équipes non entraînées, etc.) ;
- au terrain (âge inférieur à 1 an, urgences, comorbités associées) ;
- à l’expérience du MAR, le taux global de complications étant multiplié par un facteur 5 en cas de pratique uniquement occasionnelle (< 100 anesthésies / an).
Il restait à en tirer des conclusions organisationnelles pratiques, ce qui est déjà réalisé dans la plupart des pays développés3,7,8,9.
Les spécificités de la prise en charge chirurgicale des enfants, qui sont extrêmement nombreuses, ne concernent pas que la seule problématique anesthésique, loin s’en faut.
En France, le SROS 3 indique d’ailleurs que "les enfants et adolescents ont vocation à être pris en charge, chaque fois que cela est possible, par un ou des médecins spécialistes de l’enfant et du personnel paramédical ayant expérience et savoir-faire, dans l’accueil et la prise en charge des enfants."
Quelle organisation "périopératoire" ?
Il s’agit donc de mettre au service des enfants et de leurs parents tout un circuit de prise en charge pédiatrique incluant divers participants allant des professionnels de santé aux agents administratifs.
Un des challenges est donc de faire se rencontrer, pour le plus grand bénéfice des "jeunes patients", des personnels qui n’en avaient pas forcément l’habitude.
En ce qui concerne l’anesthésie, et de façon pragmatique, il est apparu que l’anesthésie d’un enfant, au même titre que toute autre anesthésie spécialisée, devait imposer au praticien d’avoir une formation initiale adéquate et un certain volume d’activité lui permettant de maintenir et garantir cette compétence (recommandations ADARPEF, SFAR, CFAR)10.
Ces obligations, rappelées par le SROS 3, doivent permettre de garantir une qualité et une sécurité des soins optimales d’autant que, dans de nombreux cas, il s’agit de chirurgies "fonctionnelles" ou non impératives.
Quelles spécificités anesthésiques chez l'enfant ?
La consultation préanesthésique
Les spécificités anesthésiques commencent dès la consultation préanesthésique (CPA) et se terminent après la sortie de l’enfant de la structure de soins, suivant en cela les recommandations sur l’ambulatoire, et la participation des parents, seuls interlocuteurs "fiables" et juridiquement responsables, est indispensable tout au long de la chaîne de prise en charge.
La CPA doit bien sûr être "techniquement" adaptée :
- prise en compte d’un retentissement psychologique et émotionnel selon les classes d’âge ;
- lecture attentive du carnet de santé (comorbidités) ;
- examen soigneux des voies aériennes;
- anticipation de l’analgésie postopératoire, etc.
L'information à l'enfant et à ses parents
Elle constitue la partie la plus importante de la consultation. Dans le cadre d’une consultation de chirurgie réglée, le livret Sparadrap® et la feuille d’information (consentement éclairé) éditée par la SFAR sont les supports recommandés et doivent être largement utilisés.
Le consentement est légalement concrétisé par la signature de "l'autorisation d'opérer" par les deux parents (art. 267-387 du Code civil) ou, à défaut, par le tuteur légal désigné par le juge des enfants (en situation d’urgence et en cas d'impossibilité totale de joindre les parents, une anesthésie peut être effectuée après en avoir avisé l'administration et le juge des enfants).
Au strict plan médical, l’enfant reste néanmoins le premier interlocuteur auquel il faut parler et ce, dès qu’il est en âge de comprendre des éléments du discours qu’il faut s’attacher, avec un vocabulaire choisi, à adapter à l’âge.
L’expérience montre que les enfants sont probablement prêts à accepter plus de choses que les adultes à la seule condition qu’on leur explique le déroulement des événements, ce qu’ils auront à "endurer" (perfusions, sonde gastrique, sonde vésicale, etc.) et qu’on ne leur mente pas.
Il faut savoir expliquer brièvement la prémédication, le transfert au bloc, l’induction de l’anesthésie (masque le plus souvent ou ponction veineuse), l’entretien (les réveils peropératoires sont la grande angoisse des enfants...), le réveil, le passage en salle de réveil, le soulagement de la douleur, la visite des parents en SSPI, le retour dans la chambre ou dans une autre unité, le début de l’autorisation aux boissons et à l’alimentation et les conditions de sortie.
Il faut également consacrer du temps pour apporter les réponses aux questions de l’enfant et des parents.
La visite préanesthésique
La visite préanesthésique est un autre moment très important à la fois pour vérifier les conditions de jeûne et pour s’assurer de l’absence de toute contre-indication qui pourrait être source de complications.
Il n’est en effet pas rare que l’examen clinique d’un enfant soit normal lors de la CPA et que ce même enfant revienne avec une infection (ORL, bronchique...) le jour de l’opération. Il convient donc de poser aux parents les "bonnes" questions... En cas de doute, le minimum est sans doute d’ausculter l’enfant et de lui prendre sa température.
Nous ne reviendrons pas sur les particularités de l’induction et de l’entretien de l’anesthésie en pédiatrie qui sont universellement connues et correctement appliquées (selon les résultats de l’enquête de pratiques de 2010) et qui dépendent le plus souvent de la chirurgie réalisée, de l’âge de l’enfant et de sa "préparation psychologique" d’amont.
Une attention toute particulière doit être portée au bloc opératoire et en SSPI, où des infirmières puéricultrices y ont une compétence toute particulière, à la survenue d’éventuelles complications hémodynamiques (bradycardies réactionnelles d’interprétation complexe), respiratoires (d’origine parfois multifactorielle) et à l’analgésie postopératoire qui, pour être parfaite, doit être multimodale et/ou s’appuyer sur des analgésies locales (infiltrations chirurgicales, bloc pénien...) ou locorégionales (caudale, blocs de paroi etc.)
Existe-t-il une réglementation particulière en matière d'anesthésie des enfants de moins de un an ?
La circulaire n°101/DHOS/2004/ du 5 mars 2004, toujours d’actualité à ce jour, indique en préambule que "la pathologie chirurgicale pédiatrique nécessite une compétence et une expérience chirurgicale et anesthésique reconnues, notamment pour la prise en charge des pathologies spécifiques ou pour les enfants d’âge inférieur à 3 ans."
Cette circulaire préconise par ailleurs une organisation de la chirurgie pédiatrique programmée en 3 niveaux, et fait une distinction suivant les circonstances de l’intervention, à savoir que l’acte est ou non programmé.
Ainsi, pour un acte chirurgical pédiatrique programmé, l’organisation repose en principe sur trois types d’établissements, définis suivant leurs degrés de spécialisation et l’âge de l’enfant concerné.
Pour les établissements ne bénéficiant pas d’unité de chirurgie pédiatrique spécialisée
- Prise en charge de l'activité programmée et non programmée des enfants de plus de 3 ans sous anesthésie générale.
- Pour les enfants de 1 à 3 ans, chirurgie programmée ambulatoire possible si pratique pédiatrique hebdomadaire régulière.
- En principe, aucun acte chirurgical ne peut être réalisé sur des enfants de moins d’un an.
Pour les établissements bénéficiant d’unité de chirurgie pédiatrique spécialisée
La circulaire exige que l’équipe soit composée 24h/24 de chirurgiens et d’anesthésistes spécialisés, permettant ainsi la réalisation de la majorité des actes de chirurgie, sauf à ce que celui-ci nécessite la présence de plusieurs pédiatres ou d’une réanimation pédiatrique.
Enfin, pour les centres ayant reçu la qualification d’établissement régional référent
Les établissements assurent tant les fonctions dévolues en principe à l’unité de chirurgie pédiatrique spécialisée dans son bassin de population, que les actes liés à des pathologies très spécifiques.
Les actes chirurgicaux sont réalisés à tous les âges, sauf si nécessité d'une réanimation pédiatrique ou de plusieurs spécialistes à vocation pédiatrique spécialisée.
L'équipe doit être composée 24h/24 de chirurgiens et d'anesthésistes spécialisés.
A retenir
La réalisation de l’anesthésie chez l’enfant est guidée par un certain nombre de textes émanant des Sociétés savantes et par le Schéma Régional d'Organisation Sanitaire de 3e génération de mars 2004 qui stipule que la pathologie chirurgicale pédiatrique nécessite une "compétence et une expérience chirurgicale et anesthésique reconnues".
Cette affirmation a conduit à une organisation réglementée des prises en charge selon l’âge des enfants et des complexités médicales, les enfants de moins d’un an devant bénéficier d’une prise en charge en centre référent spécialisé.
Les sociétés savantes s’accordent avec les tutelles sur le fait que les médecins anesthésistes qui pratiquent en pédiatrie ont l’obligation d’avoir une formation initiale adéquate et un certain volume d’activité lui permettant de maintenir et garantir cette compétence. Ces obligations, réaffirmées dans le SROS 3, doivent permettre de garantir une qualité et une sécurité des soins optimales.
Enfin, et d’une façon générale, les structures qui pratiquent ou souhaitent pratiquer la chirurgie pédiatrique doivent mettre en place un circuit de prise en charge spécifique aux nécessités et particularités médicochirurgicales des enfants.