Qu’est-ce qu’un glissement de tâches ?
Le glissement de tâches, qu’on appelle aussi parfois glissement ou transfert de compétences, n’est défini par aucun texte. C’est bien ce qui explique la difficulté pour l’identifier précisément et en cerner les contours.
On utilise ce terme quand un professionnel de santé est amené à outrepasser les compétences qui lui sont reconnues dans le cadre de son métier, généralement par des textes légaux et/ou réglementaires.
Dans ce contexte spécifique, cette notion de compétence fait référence :
- aux diplômes délivrés,
- au champ de compétence de la profession, tel qu’il est reconnu par les textes, notamment par le code de la santé publique.
A contrario, n’entrent pas en considération :
- l’ancienneté du soignant dans son poste,
- son profil personnel (personne sérieuse, de confiance, etc.),
- le caractère plus ou moins courant de l’acte pratiqué,
- les habitudes de travail, même si elles sont unanimement acceptées, etc.
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Quelles sont les professions les plus concernées par le glissement de tâches ?
Certaines professions de santé sont plus exposées aux situations de glissement de tâches, comme les infirmières et les aides-soignantes. En effet, les infirmières peuvent se voir confier des actes relevant en réalité de la compétence du médecin. De même, les aides-soignantes peuvent être amenées à réaliser des actes relevant du champ de compétence des infirmières.
Mais il peut aussi s’agir d’autres professions de santé comme les sages-femmes, les masseurs kinésithérapeutes, les manipulateurs radio ou encore, plus rarement, les chirurgiens-dentistes.
On parle surtout de glissement de tâches chez les soignants qui exercent en établissements de soins ou en établissements médico-sociaux, cet exercice en équipe favorisant les délégations illégales d’actes. Mais ils peuvent aussi, bien que plus rares, exister dans le cadre d’un exercice libéral.
Quelles sont les causes du glissement de tâches ?
Les raisons pour lesquelles un soignant peut être amené à outrepasser ses compétences sont très diverses :
- Une surcharge de travail ou des effectifs réduits, de jour et en particulier de nuit : ils augmentent le risque de voir les personnels aller au-delà de leur sphère habituelle d’intervention, pour pallier l’indisponibilité de collègues.
- De mauvaises habitudes prises dans le service : elles deviennent parfois courantes, au point de constituer un mode d’organisation tacitement accepté par tous.
- Une méconnaissance par certains professionnels des limites de leur champ de compétences : le soignant n’a alors même pas conscience du glissement de tâches, qui passe inaperçu.
- Une imprécision des textes légaux et réglementaires qui ouvrent la voie à des erreurs d’interprétation pour certaines professions. C’est particulièrement le cas pour celles (sage-femme ou aide-soignant, par exemple) pour lesquelles les compétences sont définies en référence à des missions plutôt qu’à une liste précise d’actes, ce qui entretient un certain flou juridique.
Comment distinguer glissement de tâches, collaboration et coopération ?
Pour pallier le manque de médecins et les difficultés d’accès aux soins, de nouvelles collaborations et transferts d’activités entre professionnels de santé ont fait leur apparition depuis une vingtaine d’années. Il est donc important de bien les distinguer du glissement de tâches qui, lui, est illégal.
Distinction glissement de tâches/collaboration entre professionnels de santé
Certains textes prévoient une collaboration entre professionnels de santé dans la réalisation de certains actes.
Par exemple :
- L’article R. 4311-10 du code de la santé publique liste les actes de soins pour lesquels l’infirmière participe à la mise en œuvre par le médecin (électrocardiogrammes, pose de système d’immobilisation après réduction, premier sondage vésical après rétention, etc.).
- L’article R. 4311-4 du même code traite de la collaboration entre les aides-soignants et les infirmiers, pour la réalisation d’actes relevant du rôle propre infirmier.
Dans le cadre des protocoles de coopération, il est tenu compte des connaissances, mais aussi de l’expérience acquise dans son exercice.
Quand les actes sont réalisés dans le cadre d’un protocole autorisé, on ne peut parler de glissement de tâches.
Distinction glissement de tâches/délégation de compétences
La délégation de compétences est organisée dans le cadre des protocoles de coopération prévus à l’article 51 de la loi (Hôpital, Patient, Santé et Territoires) HPST du 21 juillet 2009.
Ces protocoles permettent :
- des transferts d'actes ou d'activités de soins entre professionnels de santé,
- des réorganisations des modes d'intervention des professionnels de santé auprès des patients.
Il s’agit donc d’un cadre légal très précis. Il prévoit une autorisation et une évaluation strictes des protocoles par l'Agence régionale de Santé (ARS) avant généralisation à l’ensemble du territoire national.
Dans le cadre des protocoles de coopération, il est tenu compte des connaissances, mais aussi de l’expérience acquise dans son exercice.
Quand les actes sont réalisés dans le cadre d’un protocole autorisé, on ne peut parler de glissement de tâches.
Distribution de médicaments par un aide-soignant : glissement de tâche aux graves conséquences
Quels sont les risques encourus en cas de glissement de tâches ?
Lorsqu’un professionnel de santé réalise un acte pour lequel il n’est en fait pas compétent, il fait courir un risque au patient. Si celui-ci subit un dommage (et même en l’absence de tout dommage en cas de poursuites pour mise en danger d’autrui), il peut chercher à mettre en cause la responsabilité du soignant.
Risques pour le professionnel qui réalise l’acte
La réalisation par un soignant d’un acte qui outrepasse ses compétences légales ou réglementaires l’expose à une responsabilité ordinale, civile et pénale.
- Sur le plan ordinal : les codes de déontologie des professions médicales et paramédicales rappellent l’obligation de se cantonner à son domaine de compétences. Par exemple, l’article R. 4312-10 du code de la santé publique précise que l’infirmier ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience, ses compétences ou les moyens dont il dispose.
- Sur le plan civil : en cas de dommage pour un patient, le fait que le soignant ait outrepassé ses compétences jouera forcément en sa défaveur, même si l’examen du lien de causalité entre la faute commise et le dommage reste essentiel.
- Sur le plan pénal : là encore, le glissement de tâches apparaîtra comme un élément péjoratif dans l’appréciation des responsabilités. Il existe également un risque de se voir condamné pour exercice illégal de la profession (médecin, infirmier, etc.) dont relève en réalité l’acte pratiqué.
Pour le professionnel qui confie l’acte
Le soignant qui confie à un autre professionnel de santé des tâches dont il sait qu’elles ne relèvent pas de ses compétences peut être poursuivi au pénal, pour complicité d’exercice illégal.
Cette délégation illégale peut aussi engager sa responsabilité civile et ordinale.
À noter
L’établissement, ainsi que le chef du service, peuvent également encourir une responsabilité (au civil comme au pénal) s’il est établi qu’ils avaient pleinement conscience de l’existence du glissement de tâches, le toléraient, voire l’organisaient.
Comment se prémunir d’un risque de glissement de tâches ?
Aucun soignant n’est à l’abri d’un glissement de tâches car certaines circonstances le favorisent : surcroît chronique de travail, mauvaise organisation ou mauvaises habitudes, tensions dans le service entre soignants, etc.
Il est cependant possible de prendre certaines précautions pour tenter de limiter ce risque.
Bien connaître son champ de compétences
Beaucoup de glissements de tâches reposent sur une mauvaise connaissance des champs de compétences des uns et des autres.
- Souvent, le professionnel de santé croit de bonne foi pouvoir réaliser un acte ou en confier la réalisation à un autre soignant.
- Plus rarement, certains professionnels jouent de cette méconnaissance pour instaurer une organisation qui n’est pas conforme aux textes.
C’est la raison pour laquelle il est important de connaître le plus précisément possible son cadre légal d’exercice, pour s’apercevoir d’un glissement de tâches et être ainsi en mesure d’y mettre un terme.
Faire remonter les situations de glissement de tâches
Dans certaines organisations, les glissements de tâches peuvent devenir insidieusement la norme. Certains sont même protocolisés, avec une apparence de légalité qui ne doit pourtant pas tromper les soignants concernés.
Il n’est pas satisfaisant de laisser les glissements de tâches se banaliser jusqu’à devenir la règle de fonctionnement d’un service.
Lorsqu’un professionnel de santé a conscience qu’on lui demande de réaliser des actes qui n’entrent pas dans son champ de compétence, il se doit de réagir en signalant la situation à la direction du service et de l’établissement.
La démarche peut être individuelle mais il est préférable qu’elle soit collective, en réunissant plusieurs soignants confrontés aux mêmes problématiques. Elle prend généralement la forme d’un courrier remis en main propre (ou adressé en recommandé avec AR) pour acter le désaccord de façon claire. Agir collectivement est moins stigmatisant pour le professionnel qu’une démarche isolée.
À retenir
- Un glissement de tâche s’apprécie au regard des compétences (actes et missions reconnus par les textes) du professionnel de santé qui réalise un acte de soins.
- Il engage pleinement la responsabilité de celui qui délègue illégalement mais aussi de celui qui réalise l’acte. L’établissement peut également être mis en cause.
- Un glissement de tâches est illégal et le professionnel doit s’y opposer ou signaler la situation.
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Crédit photo : Altopress/Photoalto/BSIP