Un médecin a le droit de refuser la prise en charge d’un nouveau patient
Deux principes sont à concilier :
- l’accès aux soins des patients, impératif de santé publique ;
- le droit pour le médecin libéral de ne pas accepter de prendre en charge tout patient qui se présente à lui, ce qui est la base de la liberté contractuelle.
L’article R.4127 du Code de la Santé publique affirme...
"Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins".
Ces dispositions ne distinguent pas selon que le refus de soins est opposé à un patient faisant déjà partie de la patientèle du médecin ou qu’il s’agit d’un nouveau malade, en demande de prise en charge.
De son côté, l'article L. 1110-3 du CSP précise...
"Hors le cas d’urgence et celui où le professionnel de santé manquerait à ses devoirs d’humanité, le principe énoncé au premier alinéa du présent article (c’est à dire "Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins") ne fait pas obstacle à un refus de soins fondé sur une exigence personnelle ou professionnelle essentielle et déterminante de la qualité, de la sécurité ou de l’efficacité des soins. La continuité des soins doit être assurée quelles que soient les circonstances, dans les conditions prévues par l’article L 6315-1 du présent code".
Une possibilité de refus de soins existe mais elle est encadrée et constitue une exception.
Mais sous certaines conditions…
Le refus ne peut être discriminatoire
Au regard de l’article 225-1 du Code pénal, dès lors que le médecin n’opère pas un "tri" entre les nouveaux patients en fonction de critères discriminatoires (condition sociale, origine ethnique, etc.), le refus est possible.
La prise en charge ne doit pas être urgente
En cas d’urgence, le praticien pourrait se voir reprocher une non-assistance à personne en péril, ceci d’autant plus qu’il est professionnel de santé : il faut donc bien distinguer les consultations "tout venant" des éventuels cas d’urgence, pour lesquels il doit accepter le suivi ou, du moins, veiller à la prise en charge adaptée du patient, même s’il ne l’a jamais vu.
L’urgence prime donc sur le refus du médecin, même parfaitement justifié et non discriminatoire.
Reste à définir ce qu’est l’urgence, ce qui n’est pas toujours évident. Pour en juger, il peut parfois être nécessaire de se déplacer au chevet du patient, ou d’accepter de le recevoir pour évaluer son état.
Le motif de refus invoqué par le praticien peut être professionnel ou personnel
Ce critère est satisfait quand le médecin est "surbooké" puisqu’il tient au fait qu’il a déjà une patientèle qui occupe tout son temps et son exercice.
La continuité des soins doit être assurée
Si le praticien n’a pas l’obligation d’assurer ces soins lui-même, il doit orienter le patient de manière à ce que celui-ci puisse être pris en charge.
Dans le cas d’une pénurie médicale, le recours à d’autres praticiens est difficile, mais cela ne semble pas faire obstacle à l’application de l’article R. 4127-47. En effet, refuser le bénéfice de cet article du fait de la situation de pénurie reviendrait à opérer une distinction selon les situations de démographie médicale, que les textes eux-mêmes ne font pas.
Le praticien consulté est donc supposé orienter le patient vers d’autres praticiens dans un périmètre alentour, à charge pour ceux-ci d’indiquer, à leur tour, s’ils peuvent absorber de nouveaux malades. Depuis quelques années, les maisons de santé se sont beaucoup développées et offrent une opportunité supplémentaire d’orienter le patient.
La difficile désignation d’un médecin traitant
Depuis la loi de réforme de l’Assurance maladie du 13 août 2004, le médecin traitant a vocation à coordonner le "parcours de soins" du patient et sa désignation est prévue par l’article L. 162-5-3 du Code de la Sécurité sociale : "Tout assuré ou ayant droit âgé de 16 ans ou plus indique à son organisme de sécurité gestionnaire de régime de base d’assurance maladie le nom du médecin traitant qu’il choisit, avec l’accord de celui-ci (…)".
Cette désignation n’est pas obligatoire en tant que telle mais conditionne les modalités de remboursement de l’assuré social, qui conservera une plus grande part à sa charge s’il n’a pas de médecin traitant (ce que l’on appelle la majoration du ticket modérateur).
Les patients peuvent donc être pénalisés financièrement s’ils ne désignent pas un médecin traitant, faute d’avoir pu trouver un médecin qui accepte de les prendre en charge.
Pour autant, tout médecin est libre d’accepter ou non de devenir médecin traitant, dès lors qu’il en avertit le patient et le redirige vers un confrère, et que ce refus n’est pas fondé sur des motifs discriminatoires.
Dans l’absolu, il relève de la responsabilité des pouvoirs publics de veiller à ce que l’offre de soins soit suffisante sur l’ensemble du territoire pour que le respect des textes soit possible pour tous, sans discrimination liée au lieu de vie.
Deux initiatives ont été prises pour éviter que les patients sans médecin traitant soient pénalisés.
Suppression de la majoration du ticket modérateur pour les patients perdant leur médecin traitant
La loi n° 2023-1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels prévoit une suppression du ticket modérateur pour les patients qui ont perdu leur médecin traitant et qui n’en ont pas trouvé d’autre. Mais cette exonération n’est valable que sous deux conditions :
- Elle ne concerne que les cas de départ en retraite du médecin ou de départ pour exercer dans un autre établissement.
- Elle est limitée à l’année qui suit le départ en retraite du médecin traitant ou son changement de département.
Dans tous les autres cas et au-delà d’une année, le patient sera à nouveau pénalisé financièrement s’il n’a pas de médecin traitant.
Plan d’action en faveur des malades chroniques sans médecin traitant
Devant le constat d’un nombre important de personnes souffrant d’une Affection de Longue Durée (ALD) sans médecin traitant, l’Assurance maladie a mis en place un plan d’actions.
En 2023, elle a identifié les patients en ALD ayant consulté au moins trois fois dans l’année un même praticien qui n’est pas leur médecin traitant. Elle a adressé au médecin concerné la liste de ces patients pour recueillir son accord pour leur intégration dans sa patientèle "médecin traitant".
En l’état du plan, aucune obligation n’est imposée au médecin, qui peut refuser.
Dans ce cas, d’autres solutions seront proposées au patient en fonction des spécificités de la région où il se trouve.
Quel risque si le médecin, déjà surbooké, accepte de nouveaux patients ?
Si le praticien prend en charge un nombre trop important de patients, cela risque de rejaillir de façon péjorative sur son exercice.
Il s’expose tout d’abord à un risque de burn-out, dans un contexte d’exercice déjà bien souvent tendu.
Par ailleurs, il sera contraint de consacrer moins de temps à chaque consultation, avec le risque de mener un examen clinique ou un interrogatoire trop succinct et de "passer à côté" d’un diagnostic.
En cas de litige avec un patient, c’est un élément que le juge peut prendre en compte dans son appréciation souveraine des faits.
Nos conseils
Il est donc préférable de ne pas accepter d’absorber coûte que coûte la patientèle de ses confrères, quitte à adresser un courrier à l’Agence Régionale de Santé (ARS) concernée et au Conseil départemental de l’Ordre pour exposer les difficultés rencontrées.