Pas de responsabilité systématique du chirurgien du seul fait de l'atteinte du nerf lingual
Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 20161, ce n’est plus au praticien de démontrer que le trajet du nerf lingual présentait une anomalie rendant son atteinte inévitable : c’est au patient de prouver que l’atteinte nerveuse fait suite à un manquement fautif du chirurgien.
En l’absence d’une telle démonstration, la faute ne peut se déduire de la survenue de la lésion du nerf.
"Attendu que, (…) les soins ont été conformes aux données acquises de la science et que le trajet du nerf lingual étant atypique et variable d'une personne à l'autre et n'étant objectivable ni radiologiquement ni cliniquement, la lésion de ce nerf constitue un risque qui ne peut être maîtrisé et relève d'un aléa thérapeutique (…)."
La chirurgie des dents de sagesse : indications et techniques selon les recommandations de la HAS
Parfois, l’avulsion des dents de sagesse est systématisée sans évaluation complète des risques. Les recommandations de bonne pratique de la HAS de mai 2019 "Avulsion des 3es molaires : indications, techniques et modalités - Méthode Recommandations pour la pratique clinique"2 posent un cadre strict permettant une prise en charge conforme de nos patients, en décidant notamment de la pertinence de l’avulsion des dents de sagesse.
L’information du patient est primordiale.
Indications de l'extraction des dents de sagesse (tableau d'après les recommandations de la HAS)
Le patient est vu lors d’une première consultation afin de réaliser un bilan médical (interrogatoire, examen clinique...) et radiologique (panoramique dentaire en première intention).
Ce bilan pourra être complété par un examen 3D pour préciser les rapports entre la dent et les éléments anatomiques de voisinage.
L’indication d’avulsion (ou l’abstention thérapeutique) sera alors posée en fonction du caractère symptomatique ou non de la dent et de la présence ou non d’une pathologie associée (voir tableaux décisionnel ci-dessous) ; et après avoir évalué les facteurs de risque liés à l’intervention afin de déterminer le rapport bénéfice-risque.
En prenant en compte les recommandations existantes et les données de la littérature, un tableau décisionnel est proposé pour mieux appréhender les indications de l’avulsion des dents de sagesse, en fonction du caractère symptomatique ou non de la dent, et de la présence ou non d’une pathologie associée :
Extrait des Recommandations de bonne pratique "Avulsion des 3es molaires : indications, techniques et modalités - Méthode Recommandations pour la pratique clinique" HAS Mai 2019
Le patient (ou le ou les responsables légaux pour les mineurs) doit être informé3 afin de lui permettre de prendre en connaissance de cause les décisions concernant son état de santé en fonction de ce qu’il estime être son intérêt. Cette information permet notamment à la personne d’accepter ou de refuser les actes à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique qui lui sont proposés.
À l’issue de la première consultation, le praticien remet au patient et/ou à ses responsables légaux :
- Un consentement éclairé que le patient (ou ses "deux" parents responsables) lit (lisent) et signe(nt) avant l’intervention.
- Une feuille d’informations concernant l’intervention sur les dents de sagesse avec les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent.
- Une prescription médicamenteuse.
Techniques chirurgicales recommandées
"La pratique de la chirurgie des dents de sagesse impose un plateau technique conforme avec les règles d’asepsie et une prévention contre les infections nosocomiales. L’ensemble de la structure fonctionne sous la responsabilité du personnel médical titulaire, servi par une équipe soignante diplômée et à jour de formation."
Plusieurs techniques opératoires d’avulsion peuvent être proposées, les données de la littérature ne permettent pas de privilégier une technique de lambeau mucopériosté par rapport à une autre.
La HAS indique cependant que "le recours à un rétracteur sous-périosté en position linguale augmente le risque de survenue d’altération de la sensibilité linguale".
Extrait des Recommandations de bonne pratique "Avulsion des 3es molaires : indications, techniques et modalités - Méthode Recommandations pour la pratique clinique" HAS Mai 2019 (Points 3.4 et 3.5)
Une feuille de recommandations est remise au patient en postopératoire indiquant :
- Les complications possibles.
- Ce qu’il doit faire pour ne pas s’inquiéter et y remédier.
- Le numéro de téléphone qu’il doit composer ou l’adresse de l’hôpital le plus proche où il doit se rendre en cas de complication grave.
Les atteintes du nerf lingual
Anatomie du nerf lingual
Le nerf lingual4 est une branche sensitive issue du nerf mandibulaire (V3), troisième branche du nerf trijumeau (V). Il reçoit les afférences sensitives des 2/3 antérieurs de la langue, mais sert également d'intermédiaire aux stimuli gustatifs qu’il transmet au nerf facial via la corde du tympan.
Relation du nerf lingual avec les dents de sagesse
Le nerf lingual traverse une zone critique près des dents de sagesse inférieures, cheminant dans le versant muqueux lingual, ce qui le rend particulièrement vulnérable lors de leur extraction.
Le trajet du nerf lingual est atypique et variable d'une personne à l'autre ; il n’est objectivable ni radiologiquement ni cliniquement.
Cette proximité anatomique peut entraîner des lésions nerveuses temporaires ou permanentes par traumatisme direct (section, compression) ou indirect (irritation, étirement, hématome compressif, spasme d’un vaisseau qui nourrit le nerf)… que ce soit lors de la phase d’anesthésie, chirurgicale ou postopératoire (œdème, hématome...).
Prise en charge postopératoire
- Surveillance et prise en charge rapide des signes d'atteinte nerveuse, en curatif prescrire des anti-inflammatoires stéroïdiens à raison d’1mg/kg pendant au moins 5 jours (cette prescription peut s’accompagner d’une vitaminothérapie)4.
- Suivi à long terme (18 à 24 mois postopératoire) pour les lésions nerveuses persistantes avec cartographie des zones lésées.
Cas clinique : défaut d'indication d'avulsion de la dent de sagesse retenu
Un patient consulte pour des douleurs sur les dents de sagesse à gauche. Une radiographie panoramique est réalisée lors de la première consultation :
Ainsi qu’un cone beam :
Un consentement éclairé a été signé par le patient.
Une ordonnance préopératoire a été éditée : amoxicilline - prednisone - paracétamol - bain de bouche.
Le questionnaire médical rempli par le patient ne relève pas de pathologie particulière.
L’intervention pour avulsion des 4 dents de sagesse est réalisée 2 mois plus tard. Il n’existe pas de compte rendu opératoire ni de commentaire dans le dossier médical. En postopératoire, le patient ne sent plus le côté droit de sa langue. Une ordonnance est établie par le praticien pour prednisone - vitamine B12 - vitamine B1 - magnésium + vitamine B6.
Avis de l’expert
L’expert retient la responsabilité du praticien au motif que l’avulsion de la 48 (dent de sagesse mandibulaire droite) n’était pas indiquée.
En effet, le patient présentait à l’état antérieur une infection sur sa dent de sagesse en bas à gauche (dent 38) dont l’avulsion était indiquée.
En revanche, l’extraction de la dent 48 ne présentait pas les signes recommandés par la HAS de 2019 permettant de justifier de son extraction dans l’immédiat.
Mesures pour minimiser les risques d'atteinte du nerf lingual
- Évaluation préopératoire
Importance de l'examen clinique complet et de la tenue du dossier médical, en mentionnant l’histoire de la maladie, la symptomatologie préopératoire et importance de l'imagerie (radiographies, 3D) pour localiser les dents de sagesse et évaluer leur proximité avec les éléments anatomiques de voisinage. - Information du patient
- Technique chirurgicale adaptée
- Prise en charge postopératoire
Surveillance et prise en charge rapide des signes d'atteinte nerveuse.
Suivi à long terme pour les lésions nerveuses persistantes.
À retenir
Il est donc primordial concernant les avulsions de dents de sagesse de respecter les bonnes pratiques cliniques dans le choix des indications et des techniques chirurgicales.
Ainsi, si le geste est indiqué, le protocole opératoire et le suivi conformes et l’obligation d’information bien remplie, toute atteinte du nerf lingual dans le cadre d’une prise en charge conforme relèvera plutôt de l’aléa thérapeutique.
Dans le cas contraire, la responsabilité du praticien pourra être recherchée.