Bris dentaire : pas d'obligation de sécurité résultat
La survenue d’un bris dentaire ne relève pas d’une quelconque obligation de sécurité à la charge du médecin anesthésiste. C’est le régime légal de la responsabilité pour faute qui s’applique, comme le rappelle la Cour de cassation depuis un arrêt du 4 janvier 2005.
Dans cette affaire, un patient avait été victime de lésions dentaires à la suite d’une intubation. La Cour d’appel avait retenu la responsabilité de l’anesthésiste, en l’absence de toute mauvaise exécution de la procédure anesthésique. Elle avait en effet considéré que le dommage devait être réparé, au titre du non-respect de l’obligation de sécurité de l’anesthésiste, accessoire à son obligation de moyens.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt, en rappelant que "la responsabilité du médecin est subordonnée à la preuve d'une faute commise dans l'accomplissement de l'acte médical".
La solution est donc clairement établie : le bris d’une dent au cours d’une intervention chirurgicale n’entraîne pas ipso facto la responsabilité de l’anesthésiste.
Le patient doit apporter la preuve d’une faute commise par le praticien, à l’origine du bris dentaire.
En cas de litige à propos d’un bris dentaire, l'expert examine attentivement le déroulement des faits, et notamment les points suivants :
- L’intervention a-t-elle été réalisée en urgence ? Dans ce cas, le bris dentaire sera souvent considéré comme inévitable, au regard des circonstances particulières.
- Existait-il plusieurs options anesthésiques possibles ? L’intubation était-elle indispensable ?
- Quelles ont été les constatations faites au cours de la consultation préanesthésique ?
- Quel était l’état dentaire du patient, et celui-ci nécessitait-il de prendre des précautions particulières (par exemple, usage d’un protège-dent) ?
- Quelles informations ont été données ?
L'importance de la consultation préanesthésique
L’intérêt de la consultation préanesthésique est bien connu : elle permet de retracer les antécédents et l’histoire médicale du patient, et ainsi rechercher d’éventuels critères d’intubation difficile.
L’état dentaire du patient (présence de prothèses, mobilité éventuelle des dents, etc.), ainsi que l’existence de certaines pathologies au niveau cervical, font partie des éléments qui sont systématiquement examinés pour évaluer la difficulté prévisible de l’intubation.
La constatation d’un mauvais état dentaire peut avoir deux conséquences très différentes en cas de litige suite à un bris dentaire après anesthésie :
La responsabilité du praticien
Elle peut potentiellement engager la responsabilité du praticien si, malgré cette constatation, il est démontré qu’il n’a prévu aucune précaution particulière pour l’anesthésie, alors que de telles précautions étaient possibles.
Lors d’une pan-endoscopie pour prélèvement biopsique avec bilan de lésion amygdalienne, un patient est victime d’une édentation mandibulaire supérieure.
Le juge retient la responsabilité du centre hospitalier pour ne pas avoir mis en place un protège-dents. Cela aurait pu permettre d'éviter, d'une part, l'éjection des trois dents qui composaient le bridge dentaire et, d'autre part, l'endommagement de deux dents piliers. Ce défaut de précaution est en lien avec le dommage.
Cour administrative d'appel - 6 février 2024
L'absence de responsabilité du praticien
À l’inverse, elle peut conduire à écarter la responsabilité de l’anesthésiste : le dommage peut justement s’être produit du fait de ce mauvais état dentaire, malgré les précautions prises.
C’est alors l’état antérieur de la dentition qui est la cause du dommage.
Lors d’une intubation, une patiente subit de graves lésions dentaires (luxation d’une incisive entraînant son avulsion quelques jours plus tard).
Le juge considère que l’état dentaire médiocre constaté lors de la consultation préanesthésique (parodontose importante) explique la luxation. "L'intubation n'a été que l'accélérateur d'un processus déjà engagé et qui s'est d'ailleurs confirmé par la perte des dents adjacentes sans qu'elles n'aient été impliquées dans l'incident".
La responsabilité de l’anesthésiste est donc écartée.
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Indépendamment de l’appréciation des responsabilités proprement dites, une dentition en mauvais état peut également restreindre l’étendue de l’indemnisation du patient, en retenant l’état antérieur comme cause partielle du dommage.
Tout sera donc fonction des circonstances propres à chaque affaire.
L'importance de l'information du patient
Si l’état dentaire du patient fait courir un risque de bris d’une dent lors de l’anesthésie, il doit être informé de ce risque en amont de l’intervention.
La loi n’impose pas une information écrite et privilégie au contraire un entretien individuel avec le patient. Certaines décisions considèrent d’ailleurs que l’existence d’un document signé ne suffit pas à prouver systématiquement que l'information a été correctement dispensée.
Toutefois, la remise d’un document écrit et signé par le patient reste évidemment un élément de preuve très important en cas de mise en cause de responsabilité, pour établir la réalité de l’information.
Comme toujours, dans ce domaine comme dans tous les autres, la traçabilité reste primordiale et ne doit pas être négligée !
Dans cette affaire citée plus haut, un défaut d’information a également été retenu : s'il est fait état de la mention "information sur le bris dentaire" sur une fiche intitulée "anesthésie" figurant au dossier, elle concerne une intervention antérieure.
Il n’est donc pas prouvé que le patient a reçu une information sur le risque de bris dentaire en vue de la pan-endoscopie. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, ce manquement à l’obligation d’information ouvre également droit à l’indemnisation d’un préjudice moral d’impréparation, consistant pour le patient à ne pas avoir pu se préparer aux conséquences non anticipées de l'intervention.
Cour administrative d'appel - 6 février 2024
Nos conseils pour limiter les risques d'engager votre responsabilité pour un bris dentaire
- Pensez bien à informer le patient du risque de bris dentaire et consignez cette information dans le dossier pour en conserver une trace.
- Notez au dossier les signes qui peuvent vous laisser penser qu’une intubation ou une ventilation au masque pourraient être difficiles en raison de l’état dentaire.
- Prescrivez si besoin des examens radiologiques complémentaires.
- Invitez le patient, si nécessaire, à réaliser certains soins dentaires avant l’intervention. Et consignez vos conseils dans le dossier.
- Choisissez avec soin la stratégie anesthésique en fonction des constatations faites au niveau dentaire.
- Prenez les précautions adaptées (choix du matériel, contrôle des voies aériennes, utilisation d’une gouttière, etc.).