Possibilité n° 1
Il est scientifiquement reconnu que les traitements d’orthodontie par gouttières font partie de l’arsenal thérapeutique des chirurgiens-dentistes et qu’ils peuvent trouver leurs indications pour corriger des malocclusions légères à modérées.
Un préalable indispensable : évaluer sa compétence pour ce type de traitement
Déontologiquement, tous les chirurgiens-dentistes ont la capacité de pratiquer l’orthodontie mais chacun doit évaluer sa compétence en son âme et conscience : "l’acte du chirurgien-dentiste est légitime s’il relève tout à la fois de sa capacité professionnelle et de sa compétence personnelle".
S’il s’estime non compétent, le chirurgien-dentiste en orthodontie devra orienter son patient vers un confrère, spécialisé ou non. Il respectera ainsi son obligation de moyens, donnant à son patient toutes les chances de dépister et de traiter ses éventuelles malocclusions.
Chacun de nous doit avoir conscience de sa compétence propre, connaître ses limites et se former sérieusement auprès de sociétés savantes reconnues.
Le déroulement du traitement orthodontique
Le traitement commence par un bilan orthodontique conforme aux bonnes pratiques orthodontiques. De ce bilan, découle un diagnostic et la mise en évidence d’une indication ou, au contraire, d’une contre-indication absolue ou relative, par exemple une parodontopathie non traitée.
Une fois l’indication posée par le praticien, la décision d’entreprendre ou non le traitement d’orthodontie est un choix du patient. Elle est multifactorielle (esthétique, fonctionnel, financière…) et doit être prise par un patient correctement informé.
Cette information, qui se doit d’être "claire, loyale et appropriée" selon l’article L.1111-2 du Code de la santé publique (CSP), portera notamment "sur les différentes alternatives thérapeutiques ou les actions de prévention, les conséquences prévisibles d’une abstention thérapeutique, les bénéfices et risques fréquents ou graves et normalement prévisibles".
En aucun cas le plan de traitement ne sera laissé au libre choix du fabricant de gouttières, même si, grâce à l’intelligence artificielle, il a compilé quantité de données (toutes les informations transmises par tous lui permettent de se servir des milliers de plan de traitement déjà réalisés et de les reproduire). Le chirurgien-dentiste est et doit pour autant rester le sachant.
Ainsi le traitement orthodontique mené en intégralité par le chirurgien-dentiste relèvera de sa responsabilité pleine et entière.
À consulter également pour aller plus loin
Aligneurs orthodontiques et responsabilité : entretien avec le Dr Frérejouand >
Possibilité n° 2
Cette solution intermédiaire fait intervenir un chirurgien-dentiste et le fabricant, en plusieurs phases successives.
- Prise de contact du patient avec le fabricant
Une personne désireuse de corriger des malpositions dentaires antérieures prend contact directement avec une société fabriquant les gouttières. Celle-ci l’oriente vers l’un des chirurgiens-dentistes "partenaires" de son réseau, c’est-à-dire un chirurgien-dentiste qui a contracté un accord commercial avec ladite société.
- Consultation par le chirurgien-dentiste
Le chirurgien-dentiste reçoit le patient qui lui est adressé par la société et réalise, à la demande de celle-ci :
- un examen clinique,
- une radio panoramique,
- des empreintes numériques des deux arcades.
Les honoraires de cette consultation, tarifés par la société fabricante, sont réglés par le patient au praticien.
Les éléments sont adressés par le chirurgien-dentiste au fabricant.
- Validation du traitement
Le patient valide son traitement directement avec la société qui lui propose un devis. Le règlement est mensualisé sur une durée longue, permettant de proposer des mensualités faibles (d’environ 30 à 40 € par mois) et se fait auprès du fabricant.
- Envoi des gouttières au patient
Le fabricant adresse directement par voie postale les gouttières au patient à son domicile et il assure un suivi par transmission de photos.
Le patient ne reverra pas le chirurgien-dentiste, sauf éventuellement s’il lui est demandé de le revoir pour de possibles strippings et en fin de traitement pour la mise en place d’une contention fixe collée.
Les inconvénients de cette solution hybride
Dans cette alternative, le laboratoire fait seul le diagnostic et le plan de traitement, sans aucune concertation avec le chirurgien-dentiste.
Pourtant, un traitement d’orthodontie doit commencer par un bilan orthodontique, c’est-à-dire :
- une consultation ;
- un examen clinique des arcades dentaires et des fonctions ;
- une radio panoramique ;
- une télé radiographie de profil de laquelle découlera une analyse céphalométrique ;
- ensuite les moulages par empreinte conventionnelle ou numérique ;
- ainsi que les photos.
De l’analyse de toutes ces données, conformément aux données acquises de la science, découlent un diagnostic et un plan de traitement.
Dans cette option :
- aucun contrôle de la bonne insertion des gouttières n’est assuré ;
- aucun suivi régulier du traitement (contrôle du parodonte, port régulier des gouttières, allergies éventuelles, contrôle radio pour le dépistage des rhizalyses, cadence du changement des aligneurs, validation des objectifs thérapeutiques…) ;
- le suivi thérapeutique n’est aucunement conforme aux bonnes pratiques d’un traitement orthodontique mené par d’un chirurgien-dentiste compétent.
Le chirurgien-dentiste n’est dans cette situation que le "partenaire" d’une société fabriquant les aligneurs.
- Il n’a pas posé de diagnostic orthodontique.
- Il n’a pas non plus établi le plan de traitement.
- Il n’est pas à l’origine des complications médicales.
- Il a fourni certains éléments cliniques à la société qui a pris la responsabilité du traitement entrepris sans soumettre sa réflexion au praticien et sans solliciter son approbation.
Par contre, lorsqu’il intervient en bouche, le chirurgien-dentiste participe activement au traitement et c’est à ce titre que sa responsabilité peut être recherchée.
Les implications médico-légales
Cette coopération pose aujourd’hui des questions juridiques, déontologiques et médico-légales puisque, légalement, c’est entre le chirurgien-dentiste et le patient qu’il se forme un contrat de soins.
C’est pourquoi, lorsque se produisent d’éventuelles complications médicales, le patient cherchera prioritairement à engager la responsabilité du chirurgien-dentiste pour lequel la loi Kouchner impose une obligation légale de souscrire une assurance de responsabilité professionnelle.
Concrètement prenons l'exemple d'un cas clinique
- un patient souhaite corriger son encombrement incisivo-canin maxillaire et mandibulaire ;
- les gouttières vestibulent les incisives et les canines, les positionnant en pro-alvéolie ;
- alors apparaissent des récessions gingivales sur plusieurs millimètres au niveau des incisives mandibulaires, la corticale osseuse vestibulaire étant trop faible. Les dents sont "sorties de l’os" et sont annoncées perdues.
Le patient se rapproche de la société fabriquant les aligneurs, qui se contente simplement de rembourser le traitement qui ne l’a pas satisfait. Mais ce patient souffre de dommages (perte des incisives, réparation implantaire) pour lesquels il entend obtenir une indemnisation.
C’est dans ce contexte qu’il déclare un sinistre auprès de l’assureur de responsabilité civile professionnelle du chirurgien-dentiste "partenaire" qu’il avait consulté pour faire l’examen clinique, la radio panoramique et les empreintes numériques. Il associe sa réclamation à une plainte auprès du conseil de l’Ordre.
Il se forme entre le patient et le chirurgien-dentiste, dès la première consultation, un contrat de soins qui est un contrat civil, synallagmatique, qu’il soit à titre onéreux ou non, consensuel, d’exécution continue et qui engage le chirurgien-dentiste tout comme son patient avec des obligations réciproques.
Le chirurgien-dentiste notamment s’engage à délivrer des soins diligents, consciencieux, conformes aux données acquises de la science, à respecter le devoir d’information, et est soumis à une obligation de moyens. Il a le devoir de permette à chaque patient de se soigner sans perte de chance.
En conclusion de cet exemple, la responsabilité du chirurgien-dentiste peut être recherchée conjointement à celle de la société fabriquant les aligneurs en cas de complication liée au traitement.
La meilleure option pour un exercice serein est donc de s’abstenir de ce type de "partenariat".
À retenir
Quelle que soit l’option retenue parmi ces 2 premières possibilités, le chirurgien-dentiste peut engager sa responsabilité, notamment ordinale.
Rappelons en effet que :
"L’objectif de la procédure ordinale est de sanctionner un professionnel de santé qui a manqué aux règles déontologiques qui régissent sa profession".
Pour en savoir plus
Tout savoir sur les plaintes ordinales à l’initiative d’un patient >
"Les sanctions infligées par les juridictions ordinales sont l’avertissement, le blâme, l’interdiction temporaire, avec ou sans sursis, d’exercer la profession de chirurgien-dentiste – cette interdiction ne pouvant pas excéder trois années – et la radiation du tableau de l’Ordre".
À consulter sur le site de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes
Les juridictions - Les chambres disciplinaires de l’Ordre >
Possibilité n° 3
Dans cette situation, le patient tentera de corriger ses malpositions à ses risques et périls.
Il se pose toutefois une question juridique concernant la légalité de l’exercice de l’art dentaire, aucun chirurgien-dentiste n’étant intervenu dans la prise en charge orthodontique.
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.
— François Rabelais