Des notes manuscrites détruites
Une patiente est suivie par un médecin psychiatre exerçant en libéral, qui la reçoit à treize reprises entre 2004 et 2013. Le praticien, atteint d’une maladie grave, cesse son activité début 2013.
Trois ans plus tard, la patiente sollicite la communication de son dossier médical. Elle tient particulièrement à la transmission des notes personnelles manuscrites que le praticien a prises lors des treize consultations.
À ce moment, le psychiatre est hospitalisé pour une récidive de sa maladie. Il transmet toutefois, dès le mois suivant, les seuls documents immédiatement en sa possession : une copie d’écran des rendez-vous de consultation.
La patiente dépose une plainte ordinale pour manquement aux obligations de conservation et de transmission de l’intégralité de son dossier médical.
Lors de l’audience de conciliation, à laquelle la plaignante est absente, le praticien remet le dossier médical, sans ses notes personnelles qu’il a détruites. Ce dossier est composé des prescriptions médicamenteuses et d’une synthèse de l’état de santé mentale de la patiente.
Cette remise, contestée par la patiente, lui vaut une extension de la plainte initiale, cette fois pour violation du secret médical.
La chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre rejette la plainte. La patiente relève appel de cette décision devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins.
Quels sont les arguments des parties en cause ?
La patiente formule plusieurs griefs devant la chambre disciplinaire nationale :
- Le médecin doit être sanctionné pour ne pas avoir transmis ses notes personnelles et pour les avoir détruites. A l’appui de cette demande, elle invoque l’article L. 1111-7 du code de la santé publique, selon lequel toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé.
- Elle reproche au conseil départemental de l’Ordre de ne pas avoir assisté le praticien lors de sa cessation d’activité, ce qui explique qu’il ait été difficile pour elle de se procurer le dossier. Elle lui reproche également d’avoir réceptionné le dossier médical lors de l’audience de conciliation.
- Elle invoque à l’encontre du praticien une violation du secret médical lors de la remise du dossier au conciliateur.
De son côté, le psychiatre se défend en soutenant que :
- Les notes personnelles d’un praticien ne sont pas communicables. Il avait ainsi parfaitement le droit de les détruire à sa cessation d’activité.
- Le secret médical n’a pas été violé par la remise du dossier au conciliateur, le praticien n’ayant pu le remettre à la patiente en personne, puisqu’elle était absente à l’audience. De surcroît, il a pris soin de placer ledit dossier dans une enveloppe fermée.
Sur la non-transmission des notes personnelles
La chambre disciplinaire nationale, dans sa décision du 9 décembre 2021, commence par rappeler les textes applicables.
- L’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 Informatique et Libertés, applicable aux traitements, automatisés ou non, de données à caractère personnel.
- L’article L. 1111-7 du code de la santé publique, selon lequel "toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels de santé, qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, à l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers".
- L’article R. 4127-45 du même code imposant au médecin, "indépendamment du dossier médical prévu par la loi, de tenir pour chaque patient une fiche d'observation qui lui est personnelle, confidentielle et comportant les éléments actualisés, nécessaires aux décisions diagnostiques et thérapeutiques". Cet article précise expressément que les notes personnelles du médecin ne sont ni transmissibles, ni accessibles au patient et aux tiers.
En l’espèce, le dossier médical a été communiqué, à l’exception des notes personnelles, que le médecin a détruites quand il a cessé son activité.
Selon la chambre disciplinaire nationale, "Ces notes personnelles, au rang desquelles figurent les notes manuscrites prises lors des consultations, constituent des réflexions intermédiaires dans l’élaboration du dossier médical du patient et la prise de décision du praticien". Elles ne sont régies :
- ni par la loi du 6 janvier 1978, puisqu’elles ne figurent pas au rang des traitements de données concernées par ces dispositions ;
- ni par l’article L. 1111-7 du code de la santé publique.
Ces notes ne sont par ailleurs pas communicables au patient, en vertu des termes mêmes de l’article R. 4127-45 du code de la santé publique.
Sur la violation du secret médical
La patiente invoquait une violation de l’article R. 4127-4 du code de la santé publique relatif au secret professionnel.
La chambre disciplinaire nationale considère que le fait d’avoir remis le dossier médical lors de la tentative de conciliation ne constitue pas un manquement déontologique, pour deux raisons :
- Du fait de l’absence volontaire de la patiente à l’audience, le dossier ne pouvait lui être remis personnellement. Or, le praticien devait bien, lors de cette audience, établir pour sa défense qu’il n’entendait pas se soustraire à ses obligations, et remettre le dossier en question.
- La patiente n’établit pas que le dossier aurait été réceptionné dans des conditions et selon des modalités propres à constituer une violation du secret médical : en l’espèce, il a été remis sous pli fermé.
Que retenir de cette affaire ?
Les notes personnelles des professionnels de santé (réflexions du médecin, hypothèses de travail, remarques subjectives sur le patient, son environnement familial ou professionnel, etc.) ne sont pas expressément visées dans l’article L. 1111-7 du code de la santé publique.
La question a donc souvent été posée de la transmissibilité de ces éléments qui peuvent, dans certains cas, avoir un caractère contributif pour le suivi ou le diagnostic. Il a fallu attendre 2012 pour qu’une précision soit enfin apportée dans les textes, de façon claire, par un ajout à l’article R. 4127-45 du code de la santé publique : "Les notes personnelles du médecin ne sont ni transmissibles ni accessibles au patient et aux tiers".
La situation est donc désormais claire : le médecin peut conserver par devers lui, et sous son unique responsabilité, les notes personnelles qu’il a prises à propos d’un patient. Il n’est pas tenu de les transmettre quand il fait l’objet d’une demande de dossier.
Mais attention : cette règle, issue d’un texte à caractère réglementaire, ne s’applique qu’à la condition que, dans son exercice, le médecin ne soit pas soumis à un texte à caractère légal qui en déciderait autrement.
Ainsi, selon la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA), lorsque le praticien exerce en établissement et que dans ces conditions, les dossiers médicaux sont conservés sous la responsabilité de l’établissement, ses notes perdent alors leur caractère personnel.