Un anévrisme d’évolution lente mais régulière
Un angiologue suit un patient de 76 ans, porteur d'une cardiopathie ischémique et ayant présenté une ischémie aiguë avec chirurgie d'anévrisme poplité droit. Il est sous anti agrégant plaquettaire. Son premier doppler découvre un anévrisme poplité controlatéral de 16 mm.
À la 3e année du suivi, le diamètre dépasse les 20 mm sans symptôme.
Le praticien constate lors de la surveillance annuelle une progression lente mais continue de cet anévrisme, jusqu’à atteindre 23 mm, et l'apparition de thrombus intraluminal.
Huit jours après le dernier contrôle, le patient présente une ischémie aiguë de membre avec thrombose poplitée, avec embolie massive en distalité.
Malgré une intervention chirurgicale avec un succès immédiat, l'évolution se fait vers une ischémie distale réfractaire et une surinfection, aboutissant à une amputation transfémorale et à la mise en place d’une prothèse.
Une perte de chance pour défaut de surveillance
Au terme de plusieurs expertises, il est retenu une perte de chance à l’encontre de l’angiologue du fait d’un défaut de surveillance et de l'absence de demande d'un avis chirurgical.
Il aurait dû soumettre le cas de son patient à un chirurgien vasculaire :
- à partir du moment où l'anévrisme avait dépassé les 20 mm de diamètre,
- puis dans un second temps devant la poursuite de l'augmentation de calibre,
- et enfin devant l’apparition d'un thrombus intraluminal avec une dégradation du flux devenant turbulent et non plus laminaire.
Il est rappelé les éléments suivants :
- Au-delà de 20 mm, le risque de complications thrombo-emboliques se situe entre 15 à 25 % par an, en l'absence de traitement.
- Il est recommandé de penser à un dépistage systématique des anévrismes poplités, en cas d'anévrisme de l'aorte abdominale ou d'un terrain à risque vasculaire.
- Une fois dépisté, il faut organiser une surveillance annuelle à l’affût de symptômes périphériques et réaliser un doppler.
- Il est recommandé de prendre un avis chirurgical lorsque le diamètre dépasse les 20 mm donc, s'il existe un thrombus, des signes évocateurs d'embolie ou bien des signes d’altération du flux par imagerie(1).
Les enseignements à tirer
Cette affaire illustre parfaitement la difficulté de suivre des lésions artérielles sur de nombreuses années. La récurrence des consultations et l'apparente stabilité des lésions finissent par faire oublier la possibilité d'une évolution inattendue, parfois explosive.
Dans ce dossier, l’angiologue, qui par ailleurs entretenait une relation amicale avec le patient, n'a pas voulu imaginer une évolution défavorable, même s'il existait une progression inéluctable. De plus, l'âge avançant, il n'a pas voulu le confier à un chirurgien pour un geste qu'il trouvait peut-être lourd en fonction du terrain.
Nombreux sont les dossiers du même type où on observe que les praticiens s'accommodent, voire finissent par s’habituer à la présence d'une lésion vasculaire péjorative, apparemment stable. Il suffit d'un manque de vigilance ou d'une certaine routine, ou parfois de l'apparition d'événements intercurrents pour faire oublier la cadence nécessaire des surveillances par échographie/doppler des anévrismes ou des sténoses artérielles.
Quelques recommandations des sociétés savantes
- Pour l’aorte ascendante, elles rappellent qu'il existe une indication opératoire des anévrismes au-delà de 55 mm. Mais ce diamètre seuil peut être réduit, en cas de bicuspidie ou de maladie de Marfan (50 mm) ou s'il existe une atteinte significative de la valve aortique associée. Il existe aussi des éléments pouvant précipiter l'indication chirurgicale (progression > 3 mm par an).(2)
- Pour l'aorte abdominale, le seuil d'intervention est au-delà de 55 mm de diamètre, ou bien une croissance annuelle > 10 mm (recommandations de grade I B). L’ESC recommande une surveillance par imagerie tous les 4 ans, lorsque le diamètre est entre 25-29 mm ; 3 ans entre 30-39 ; 2 ans 40-44 et annuel > 45 mm.(2)
Il est nécessaire d'assurer le même type de surveillance pour les anévrismes dans d'autres territoires, de même que pour les sténoses carotidiennes.(3)
Comment prévenir les accidents dans sa pratique ?
- La première des priorités est de rendre le patient acteur principal de sa santé et garant de son suivi. Il est impératif de lui expliquer l'évolution naturelle de sa maladie ainsi que le caractère primordial de la surveillance, en lui fixant les seuils (diamètre d'anévrisme, pourcentage de sténose) qui doivent déclencher une discussion chirurgicale ou interventionnelle. Cette connaissance fait de lui un partenaire, qui va relancer le professionnel à l'approche du seuil. Cette démarche doit être la même entre le spécialiste et le généraliste, pour qu’il réadresse le patient régulièrement pour ses contrôles. Pour toutes les pathologies artérielles, il est nécessaire de lui rappeler l'importance du contrôle de tous ses facteurs de risque. Pour les pathologies anévrismales, on rappellera la corrélation forte entre l'absence de contrôle tensionnel et l'évolution des anévrismes.
- Au niveau du dossier médical, il faut se servir des outils des logiciels, dont certains font un encadré de rappel à l'ouverture du dossier. Le spécialiste peut également, dans sa conclusion de consultation, rappeler systématiquement les échéances de contrôle ou d'intervention.
- Enfin, lorsque l'on approche du seuil interventionnel, il semble judicieux d'adresser le patient au chirurgien pour un premier contact. Cette précaution permet d'abord de familiariser le patient à cette échéance et initier l'information relative au geste. Ensuite, par cette démarche, on place le patient sur les rails d’un planning de surveillance rapprochée avec des demandes d'exploration plus précises (scanner/IRM) et prendre date pour le geste.
Pour se prémunir d'éventuels reproches sur le planning de la surveillance, il faut qu'il existe une trace dans le dossier de ce conseil, et du délai donné pour la réalisation de l'imagerie choisie pour la surveillance (reproche fréquent en cas de plainte).
À retenir
La dissection ou la thrombose artérielle peuvent être en rapport avec un défaut de surveillance, à l'origine de plaintes médicolégales.
La prévention des plaintes repose sur l'éducation du patient, de ses correspondants et une planification de la cadence des examens, ainsi que la détermination des seuils interventionnels (diamètre ou degré de sténose). Il est souhaitable d'adresser le patient au chirurgien à l’approche du seuil pour organiser la surveillance ultime et la programmation du geste.