Qu’est-ce que la clause de conscience des sages-femmes ?
Ce "droit à dire non" a été introduit par la loi "Veil" du 17 janvier 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), qui évoque pour la première fois, sous conditions, la possibilité pour un médecin de refuser de réaliser une IVG. Elle a, par la suite, été étendue à d’autres professions médicales et paramédicales.
S’agissant des sages-femmes, l’article R.4127-328 du Code la santé publique (CSP) précise que : "Hors le cas d’urgence et sous réserve de ne pas manquer à ses devoirs d’humanité ou à ses obligations d’assistance, une sage-femme a le droit de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles".
Cependant, si une sage-femme peut refuser de réaliser un acte qui heurte ses croyances ou ses valeurs (religieuses ou non), des devoirs complémentaires prévus par l’article précité doivent être impérativement respectés.
Dans quelles situations une sage-femme peut-elle refuser de donner des soins en raison de convictions personnelles ou professionnelles ?
La clause de conscience propre aux professionnels de santé s’applique pour tous actes de soins mais elle a surtout vocation à s’appliquer aux actes médicaux non thérapeutiques susceptibles d’entraîner une atteinte à l’intégrité ou à la dignité humaine (tel est le cas par exemple du don d’organes, de la fin de vie ou encore de la procréation médicalement assistée).
Trois situations particulières bénéficient d’une clause de conscience spécifiquement prévue par des textes :
- la recherche sur l’embryon (article L.2151-7-1 du CSP),
- l’interruption volontaire de grossesse (loi Veil),
- le refus de stérilisation, lequel concerne essentiellement les médecins (article L.2123-1 du CSP).
Dans ces situations, il existe une double clause de conscience, à la fois générale et spécifique (prévue par un texte).
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S’agissant de l’IVG
La double clause de conscience a été instaurée par la loi "Veil". L’article L.2212-8 du CSP précise qu’une une sage-femme n’est jamais tenue de concourir ou de pratiquer une IVG mais elle "doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l’article L.2212-2".
Lors de l’examen du projet de loi de modernisation de notre système de santé (2016) allongeant notamment les délais légaux de recours à une IVG et élargissant les compétences des sages-femmes, un amendement prévoyait une disposition visant à supprimer la double clause de conscience en matière d’IVG.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins, le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) ou encore l’Ordre des sages-femmes se sont vivement opposés à cette suppression. L’Ordre des sages-femmes rappelant notamment que la clause de conscience constitue "une référence incontournable pour tous les professionnels de santé qui pourraient être amenés à concourir à une IVG". La ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, ayant également émis un avis défavorable, l’amendement n’a finalement pas été adopté.
Quelles obligations doit respecter une sage-femme qui invoque sa clause de conscience ?
En cas d'urgence vitale
Une sage-femme ne peut pas invoquer sa clause de conscience s’il existe une urgence vitale pour sa patiente. À défaut, elle pourrait être poursuivie pénalement pour non-assistance à personne en péril. Cette infraction est prévue par l’article 223-6, alinéa 2 du Code pénal :
"(…) Sera puni des mêmes peines [cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende] quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour un tiers, il pouvait lui prêter soit par une action personnelle, soit en provoquant un secours".
S'agissant de l'urgence vitale
La Chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre des sages-femmes a été amenée à se prononcer sur ce point. Dans une décision du 29 novembre 2021, elle a sanctionné une sage-femme pour avoir refusé, en raison de convictions religieuses personnelles (appartenance aux Témoins de Jéhovah), de transfuser une patiente alors que celle-ci se trouvait "dans une situation d’urgence".
Dans cette affaire, une parturiente en début de travail est déclenchée pour un terme dépassé. Elle est prise en charge par une sage-femme effectuant une vacation dans un établissement de santé privé.
En raison d’altérations importantes du rythme cardiaque fœtal, l’obstétricien décide de la pose d’une ventouse, d’une épisiotomie et d’une manœuvre de Wood pour faciliter l’extraction du bébé (de plus de 4 kg). Malgré une expulsion rapide et une suture de l’épisiotomie, la parturiente présente des saignements abondants. Une perfusion de Nalador® est rapidement posée.
Une heure plus tard, les saignements persistent et la perfusion est maintenue associée à un ballon de Bakri. Son état de santé s’améliore mais son taux d’hémoglobine demeure à 8,9 g/l. L’anesthésiste présent prescrit alors la transfusion de 2 culots globulaires et de 2 poches de plasma.
La sage-femme en charge de la patiente refuse de réaliser la transfusion. Après un refus de l’infirmière de suites de couches puis de l’IADE d’astreinte (à domicile) de prendre son relais, elle appelle le médecin anesthésiste prescripteur, lequel se déplace pour poser la transfusion.
Suite à un signalement de l’établissement de santé dans lequel la sage-femme a réalisé sa vacation, le Conseil départemental de l’Ordre des sages-femmes a décidé de porter plainte contre cette dernière aux motifs : d’un comportement inadapté en priorisant ses croyances personnelles par rapport au respect de la personne humaine, de soins non conformes et inadaptés, d’une rupture dans la continuité des soins et d’une atteinte à l’honneur de la profession.
De son côté, la sage-femme estime que son refus de transfuser la parturiente pour des raisons personnelles (sa religion lui interdisant) correspond à une stricte application de sa liberté de conscience, et ce, d’autant plus que la transfusion demandée au regard du taux d’hémoglobine ne présentait, selon elle, aucun caractère d’urgence.
Pour la Chambre disciplinaire, si un professionnel de santé peut invoquer sa clause de conscience pour refuser de pratiquer un acte médical en raison de convictions personnelles, notamment religieuses, cela n’est, en revanche, pas possible en cas d’urgence vitale pour le patient.
Or, elle estime qu’un taux d’hémoglobine bas (à 8,9 g/l) constitue une situation d’urgence nécessitant une transfusion sanguine rapide écartant ainsi la possibilité d’opposer sa clause de conscience.
Un blâme a été retenu à l’encontre de la sage-femme. Cette dernière a également été invitée à suivre au plus tôt une formation en "sécurité transfusionnelle" (non suivie jusqu’alors) et une formation sur les compétences dévolues aux sages-femmes afin de se trouver à l’avenir en capacité de faire face à une situation d’urgence.
La continuité des soins
Une sage-femme qui refuse de réaliser un acte doit également s’assurer que sa patiente bénéficiera des soins dont elle a besoin.
Son refus ne peut, en aucun cas, nuire à la santé de sa patiente ou à celle de l’enfant.
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En conséquence, elle doit notamment fournir les renseignements utiles afin que "quelles que soient les circonstances, la continuité des soins soit assurée".
Le devoir d'information et de traçabilité
Il est également important que la sage-femme explique et consigne dans le dossier médical de sa patiente pourquoi elle refuse de réaliser, au nom de ses convictions, un acte de soins.
La patiente ne doit pas avoir le sentiment que le motif du refus est discriminatoire ou abusif.