Infection nosocomiale survenue dans les suites de la pose d'une prothèse totale de hanche
Un patient présentant une coxarthrose bilatérale prédominante à gauche consulte un chirurgien orthopédiste pour une importante gêne fonctionnelle invalidante. Il est décidé de la pose d’une prothèse totale de hanche au sein de la clinique. La fiche d’information et le consentement sont remis et signés par le patient.
Lors de l’intervention, il se produit une fissure du grand trochanter nécessitant un cerclage. À noter qu’au moment de l’induction anesthésique, une antibioprophylaxie par Céfazoline 2g est administrée. L’appui en postopératoire n’est autorisé que partiellement et le patient reste finalement hospitalisé pendant 48 heures.
Un mois plus tard, survient une luxation de la prothèse qui est réduite en CHU par un autre chirurgien orthopédique.
Cinq jours plus tard, le patient consulte le chirurgien qui a posé la prothèse.
Le chirurgien décide de réintervenir suite au constat de déplacement de la fracture du grand trochanter. Une ostéosynthèse est effectuée avec mise en place d’une plaque-crochet et rallongement du col prothétique de +3,5 mm pour favoriser une meilleure stabilité. Il n’y a pas de trace de la mise en place d’une antibioprophylaxie préopératoire mais les prélèvements réalisés reviendront négatifs à 5 jours.
Dans les suites, le patient présente une fièvre à 38,5°C avec augmentation de la CRP et écoulement cicatriciel purulent sur un hématome profond nécessitant de nouveau une reprise chirurgicale (lavage de la prothèse et changement des pièces intermédiaires).
Des prélèvements réalisés en peropératoire reviendront positifs au Staphylocoque aureus, résistants à la Pénicilline G. Une antibioprophylaxie postopératoire par Oflocet® et Orbénine® est mise en place. Le patient demeure hospitalisé 8 jours pour stopper l’écoulement cicatriciel et contrôler l’infection.
Le jour de sa sortie, suite à une manipulation de nursing, une nouvelle luxation de prothèse se produit. Le chirurgien étant parti en mission humanitaire, il est décidé par son remplaçant et l’équipe d’anesthésistes d’un transfert du patient dans un centre hospitalier où il sera pris en charge par un chirurgien orthopédique pour changement de prothèse. Il persistera un important écoulement cicatriciel traité par antibiothérapie.
Le patient est hospitalisé pendant 3 mois en centre de rééducation. L’appui est complet mais il marche désormais avec une canne en raison d’une légère boiterie.
Tout chirurgien participe à la mise en place ou non d'une antibioprophylaxie préopératoire
Estimant avoir été victime d’une infection en lien avec l’intervention et non correctement prise en charge, le patient saisit la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI).
Deux expertises sont organisées. Toutes deux concluent à une infection nosocomiale contractée lors de l’intervention de reprise consistant en une ostéosynthèse du grand trochanter.
S’agissant de la fracture du grand trochanter survenue en peropératoire, les experts considèrent qu’elle ne résulte pas d’une maladresse fautive du chirurgien et peut survenir même si toutes les précautions ont été prises pour l’éviter.
En revanche, les experts estiment que le chirurgien n’a pas positionné correctement le cotyle lors de la première intervention, ce qui a été à l’origine de luxations récidivantes nécessitant plusieurs reprises chirurgicales.
Ils estiment également que le défaut d’antibioprophylaxie et d’antibiothérapie lors de la première intervention de reprise chirurgicale constitue un manquement de la part du chirurgien. En effet, pour les experts, "si l’anesthésiste est en charge de l’administration de l’antibiotique, le chirurgien est également impliqué dans la décision de réaliser ou non l’antibioprophylaxie préopératoire".
La CCI entérine les conclusions expertales et retient la responsabilité :
- de la clinique à hauteur de 35 % au titre de l’infection nosocomiale contractée dans ses locaux ;
- du chirurgien à hauteur de 65 % pour défaut de prise en charge du patient.
Prévention du risque infectieux : la collaboration chirurgien/anesthésiste est essentielle
La MACSF a mis en place un Observatoire du risque médico-juridique en orthopédie et traumatologie, hors rachis, recensant l’ensemble des dossiers ouverts sur la période 2016-2023. Sur cet échantillon de 1952 réclamations, l’infection postopératoire représente le principal motif de réclamations des patients avec 29 % des dossiers ouverts.
En effet, malgré toutes les précautions et mesures d’asepsie, des complications infectieuses peuvent survenir au décours d’un acte chirurgical en orthopédie, et notamment lors de la mise en place de prothèse totale.
La survenue d’une infection nosocomiale engage en premier lieu la responsabilité de l’établissement de santé où le geste opératoire a été réalisé (responsabilité de plein droit), mais il n’est pas rare que la responsabilité du chirurgien se trouve engagée en cas de manquement dans la gestion du risque infectieux mais également dans la prise en charge de cette infection.
L'importance de la check-list
S’agissant du risque infectieux, la check-list "Sécurité du patient au bloc opératoire" comprend un item relatif à l’antibioprophylaxie dans une partie intitulée "Avant l’intervention chirurgicale - Temps de pause avant l’incision". Il y est précisé qu’il doit être renseigné de manière collégiale en présence en particulier du chirurgien et de l’anesthésiste la réalisation ou non de l’antibioprophylaxie qui doit faire l’objet d’une décision conjointe et partagée.
En conséquence, une prise en compte pluridisciplinaire du risque infectieux et une coordination entre le chirurgien et l’anesthésiste seront autant de garanties pour prévenir l’accident.
La prise en charge des complications infectieuses
Le cas échéant, le chirurgien devra également assurer une prise en charge optimale de l’infection contractée, en réalisant rapidement les examens nécessaires (imagerie, bilan biologique…), en sollicitant un avis infectiologue et en organisant le suivi du patient de manière consciencieuse et conforme aux données acquises de la science.
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Une traçabilité dans le dossier médical du patient de l’ensemble des examens demandés, des résultats et des thérapeutiques mises en place est également importante.
Elle permettra, en cas de litige, d’attester de la bonne prise en charge de la complication infectieuse par le chirurgien et d’écarter ainsi tout manquement de sa part.
Crédit photo : T&L / IMAGE POINT FR / BSIP