Une responsabilité des médecins anesthésistes-réanimateurs essentiellement indemnitaire
La recherche de responsabilité indemnitaire concentre 94 % des dossiers ouverts en anesthésie-réanimation :
- 36 % de procédures amiables,
- 34 % de saisines de Commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI),
- 20 % de procédures devant les juridictions civiles,
- 4 % de procédures cumulées civile et CCI.
Les patients recherchent donc surtout une compensation financière en réparation du ou des préjudices subis qu’ils estiment en lien de causalité direct et certain avec une prise en charge anesthésique ou en réanimation.
En revanche, les responsabilités ordinale (2 %) et pénale (4 %) des médecins anesthésistes-réanimateurs sont relativement peu recherchées. 28 dossiers sur les 608 de l’échantillon correspondent à une procédure pénale engagée par un patient cherchant à sanctionner un comportement du médecin anesthésiste-réanimateur.
Une majorité de dossiers connaît une issue favorable
89 % des dossiers sont terminés et 11 % sont toujours en cours.
Sur les 537 dossiers terminés, nous considérons que 79 % ont connu une issue favorable pour nos sociétaires :
- soit parce que le dossier ne connaît aucune suite ;
- soit parce que le médecin anesthésiste-réanimateur est mis hors de cause ;
- soit après dépôt d’un rapport d’expertise favorable pour le praticien sans suite de la procédure par le patient.
A l’inverse, 21 % de ces dossiers terminés ont évolué défavorablement pour nos sociétaires mis en cause :
- soit par une condamnation judiciaire ;
- soit en raison d’un avis CCI défavorable ;
- avec l’accord de nos sociétaires, des dossiers sont également transigés à l’amiable suite au dépôt d’un rapport d’expertise amiable ou judiciaire défavorable risquant d’évoluer vers une poursuite de la demande indemnitaire.
Sur les 66 dossiers en cours, on relève 27 dossiers dans lesquels il existe un risque de voir la responsabilité du praticien retenue.
Il s’agit de dossiers en cours pour lesquels un rapport d’expertise défavorable a été rendu et qui sont en attente d’un jugement (civil ou pénal) ou d’un avis CCI établissant les éventuelles responsabilités.
Sont également à relever :
- 22 dossiers en cours avec un rapport d’expertise favorable ;
- 7 dossiers en cours avec un avis CCI favorable au sociétaire (procédures CCI et civile cumulées).
10 dossiers correspondent à des dossiers "en cours", en attente d’organisation d’une expertise.
Quels sont les principaux manquements retenus contre nos sociétaires anesthésistes-réanimateurs ?
Sur l’échantillon de l’étude, 115 dossiers ont conduit à une responsabilité de nos sociétaires anesthésistes-réanimateurs pour divers motifs.
Le bris dentaire fautif (58 dossiers)
Le principal manquement retenu contre nos sociétaires anesthésistes est le bris dentaire, risque anesthésique retrouvé dans près de la moitié des dossiers fautifs. Ce constat est d’ailleurs en adéquation avec le principal événement indésirable rencontré pour la cohorte : le bris dentaire.
En effet, 173 dossiers (sur les 603 de l’étude) ont été ouverts pour un bris dentaire au cours de l’acte anesthésique dont 58 dossiers ont conduit à une indemnisation.
Il est donc important de relever que tous les dossiers de bris dentaire ne sont pas nécessairement fautifs.
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Il existe en la matière deux facteurs de risques prédominants :
- L’état bucco-dentaire antérieur du patient : présence de bridges, couronnes, restauration dentaire, existence d’une réparation dentaire récente, d’une lésion dentaire ou encore d’autres éléments fragilisant l’état dentaire (bruxisme, tabac, âge, diabète…).
- La survenue d’une intubation difficile imprévue, circonstance favorisante.
Notre conseil
Bien consigner dans le dossier médical du patient son état dentaire antérieur
Lors de la consultation pré-anesthésique, il est indispensable de réaliser un dépistage de l’état bucco-dentaire du patient à travers un interrogatoire et un examen médical.
Cette évaluation permettra de mettre en place la stratégie anesthésique adéquate :
- En cas d’identification d’une éventuelle fragilité dentaire, et dans la mesure où la grande majorité des bris dentaires surviennent lors de l’intubation, une alternative à l’AG peut dans certains cas être proposée.
- Si aucune alternative n’est possible, il est primordial d’informer le patient des risques encourus et plus particulièrement de ce risque de bris dentaire. Peuvent également être proposés des soins dentaires préopératoires ou une éventuelle "gouttière" de protection adaptée à la dentition du patient.
Il est également nécessaire de tracer dans le dossier médical les résultats du "dépistage" réalisé et notamment l’existence d’éventuelles lésions préexistantes (état antérieur).
Il s’agira alors d’éléments de preuve qui pourront être utilisés en cas de demande indemnitaire ultérieure.
Le défaut / retard de prise en charge (29 dossiers)
Le second manquement retenu contre nos sociétaires anesthésistes-réanimateurs est le défaut / retard de prise en charge, avec notamment 15 dossiers de défaut de prise en charge d’une infection associée aux soins contractée en postopératoire.
À noter que dans 24 de ces 29 dossiers, la responsabilité de l’anesthésiste a été retenue conjointement avec celle du chirurgien.
De plus, à ces 29 dossiers, il est possible d’ajouter 9 dossiers d’absence d’antibioprophylaxie (responsabilité partagée avec le chirurgien et/ou l’établissement de santé) alors que le patient a contracté une infection dans les suites de l’intervention chirurgicale réalisée.
Sur l'antibioprophylaxie
L’objectif de la mise en place de l’antibioprophylaxie est de diminuer le risque d’infection du site opératoire en administrant un antibiotique en pré et peropératoire.
Sur les 9 dossiers de l’Observatoire concernant spécifiquement cette thématique :
- 5 ont conduit à une responsabilité partagée avec le chirurgien au titre de l’infection contractée.
- 2 ont conduit à une responsabilité partagée avec l’établissement.
- 2 ont conduit à une responsabilité partagée avec le chirurgien et l’établissement de santé.
Si l’antibioprophylaxie est presque toujours mise en place par le médecin anesthésiste-réanimateur, il semble établi que sa responsabilité est partagée avec celle du chirurgien.
En ce sens, la Haute Autorité de Santé (HAS) rappelle, dans un document intitulé "Coopération entre anesthésistes-réanimateurs et chirurgiens – mieux travailler en équipe" (novembre 2015), que le médecin anesthésiste-réanimateur et le chirurgien assument conjointement la qualité des soins et la sécurité des patients dont ils ont la responsabilité.
En conséquence, les experts puis les juges ou la CCI retiennent quasi systématiquement une responsabilité conjointe à parts égales entre le chirurgien et l’anesthésiste-réanimateur en cas d’antibioprophylaxie non conforme.
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Les erreurs dans la conduite de l’anesthésie (8 dossiers)
Des dossiers ont donné lieu à une condamnation du médecin anesthésiste-réanimateur en raison d’une erreur dans la conduite de l’anesthésie. Il s’agit par exemple :
- De l’utilisation d’une technique de sédation par titration de Propofol® par doses fractionnées de 20 mg (70 mg au total) chez une patiente âgée (plus de 75 ans, 64 kg), technique critiquée en raison de réinjections trop rapprochées.
- D’une technique d’anesthésie critiquée pour défaut de prescription d’un antisécrétoire et/ou antiacide et pour l’absence de vidange gastrique ou d’induction à séquence rapide alors que la patiente devait être considérée comme ayant "l’estomac plein" puisqu’elle était en occlusion, vomissait et avait le hoquet.
- D’un défaut de surveillance per-anesthésique pour une hypoxie non détectée mais constatée au moment de l’arrêt cardio respiratoire.
- D’un surdosage de Mépivacaine®, soit 600 mg administré alors que la dose maximale administrée pour un bloc axillaire est de 400 mg (arrêt cardiaque).
Le non-respect de l’obligation d’information ou défaut d’information
Sur l’échantillon des 603 réclamations de l’étude, aucun de nos sociétaires anesthésistes-réanimateurs n’a vu sa responsabilité retenue au titre d’un défaut d’information.
Même si cette statistique est encourageante pour la profession, le devoir d’information qui incombe à tout praticien n’est pas à négliger pour autant. L’article L.1111-2 du Code de la santé publique indique que : "toute personne a le droit d’être informée sur son état".
L’information du patient constitue ainsi un temps fort de sa prise en charge, permettant un consentement libre et éclairé à l’acte médical ou chirurgical envisagé.
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En effet, tout médecin doit à son patient une information "claire, loyale et appropriée" et adaptée à son état de santé, aux investigations et aux soins proposés (article 35 du Code de déontologie médicale) sauf cas particuliers de l’urgence vitale et de l’incapacité de la personne d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information, situations potentiellement rencontrées en anesthésie.
Ainsi, le médecin anesthésiste doit informer ses patients sur les différentes techniques d’anesthésie ainsi que sur les inconvénients et les risques éventuels propres à l’anesthésie envisagée.
La SFAR propose d’ailleurs une fiche sur "l’information des patients adultes en anesthésies" qui peut être remise au patient lors de la consultation pré-anesthésique.